CHOIX D'ÉCRITS SPIRITUELS

DU

BIENHEUREUX FRANÇOIS DE LAVAL

(1623-1708)

 

Les principaux documents concernant François de Laval ont été rassemblés dans l'ouvrage suivant publié par la Sacrée Congrégation des Rites en 1956: Quebecen.  Beatificationis et Canonizationis Ven.  Servi Dei Francisci de Montmorency-Laval episcopi Quebecensis (+1708) Altera nova positio super virtutibus ex officio critice disposita  (Sacra Rituum Congregatio, Sectio historica, 93), Polyglottis Vaticanis, 1956. Nous désignerons cet ouvrage par l'abréviation Altera nova positio suivie de l'indication de la page. Quelques textes proviennent des Archives du Séminaire de Québec (ASQ) et du  premier volume des Mandements des évêques de Québec: TÊTU, H. et GAGNON, C.-O., Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, vol.1, Imprimerie générale A. Côté et Cie, Québec, 1887, cité ainsi Mandements.  Dans quelques cas nous référerons à des sources autres. À ce moment, nous les indiquerons "in extenso" .

 

Le cinq lettres à Henri-Marie Boudon, archidiacre d'Évreux

 

            À Québec, ce dernier septembre 1666.

Mon très cher Monsieur.

Jésus crucifié soit notre force.  Jamais je ne fus plus consolé d'aucune de vos lettres que de celle que j'ai reçue cette année.  L'on ne peut lire sans horreur le manifeste pernicieux qui a été publié contre votre réputation.  Je vois que l'enfer a vomi tout ce poison et que ce malheureux auteur y a puisé toute la malice dont il est composé.  Je ne puis vous estimer malheureux, puisque Notre-Seigneur, la Vérité éternelle, vous béatifie: « Beati estis cum maledixerint vobis homines et dixerint omne malum adver­sus vos ».  Au contraire, je me réjouirai avec vous de la joie des saints Apôtres, lesquels ibunt a conspectu concilii gaudentes, quoniam digni habiti sunt pro nomine Iesu contumeliam pati.  Ma consolation donc, mon cher Monsieur, recevant votre lettre, est de ce que par la miséricorde de Notre-Seigneur, il vous a donné un cœur capable d'avoir autant de joie et d'amour pour la Croix et le mépris, que le monde en conçoit d'horreur et d'aversion.  Non fecit taliter omni nationi.  Sans doute la très sainte Vierge et les saints Anges vous auront procuré cette grâce par un amour spécial qu'ils ont pour vous.  C'est la précieuse perle de l'Évan­gile, quam quis invenit, abscondit et prae gaudio illius vadit et vendit universa quae habet et emit illam.

Priez bien Notre-Sei­gneur qu'il me fasse la grâce de bien user des grâces qu'il me fait et des petites Croix qu'il nous présente quelquefois à souf­frir.  Nous sommes, grâce à Dieu, plus paisiblement que nous n'avons été les années passées en ce pays par le retour que M. de Tracy a fait depuis un an.  Il y passera encore cette année.  C'est une personne de mérite et de piété.  Il est présentement dans le pays des Iroquois en personne avec quatorze ou quinze cents hommes dont nous avons sujet d'espérer un bon succès, Dieu aidant.  Il y aura ensuite une grande liberté.  Operarii pauci, messis quidem multa, rogate etc. 

J’écris à Mgr d'Évreux.  Vous lui donnerez ma lettre.  Je n'ai pas cru me pouvoir dispenser de rendre le témoignage que je dois à votre vertu et votre innocence. C'est à Notre-Seigneur à la manifester et non pas aux hommes.  Ainsi, mon cher Monsieur, disons: « Expecta paulis­per, donec impleatur numerus fratrum vestrorum ».

Priez bien Dieu pour moi, je vous en conjure, et pour toute notre Église et nous faites.... (quelques mots sont inintelligibles) des bonnes fortunes, qui vous arriveront par la disposition aimable de la divine Volonté, et surtout me croyez avec vérité, votre très hum­ble et obéissant serviteur,

François, évêque de Pétrée.

 

(Postscriptum)

Je vous conjure de me mander quelque chose dans la sim­plicité et vérité de la disposition de mon frère le religieux.  Il me semble avoir entendu qu'il avait bien l'air du monde et non pas celui d’un bon religieux.  Cela me donne de la douleur et de la peine en même temps, ayant possible contribué quelque chose à ce qu'il fût religieux, étant trop jeune pour le connaître.  Ce n'est pas que je n'aie fait tout mon possible depuis ce temps pour le porter au bien, comme de le faire étudier et de lui inspirer de faire effort d'entrer aux réformés; ce qu'il  a tenté, mais son in­firmité l'en a empêché.  Je souhaite de tout mon cœur pouvoir contribuer à le remettre dans son train de vertu.  Je vous supplie d'en avoir soin et de me faire savoir tous les ans comme il se comporte.  J'ai négligé de lui écrire depuis mon éloignement de France.  J'ai pensé le faire cette année, mais j'ai voulu avoir au­paravant vos sentiments et savoir l'état dans lequel il est.

 

Altera nova positio pp. 205-207

Québec, 6 novembre 1677

J'ai reçu, mon cher Monsieur, bien de la consolation d'ap­prendre que Notre-Seigneur, après toutes les épreuves dont sa divine conduite s'est servie pour exercer votre patience et pour vous sanctifier vous faisant la miséricorde d'en faire un bon usage, enfin il vous ait rétabli dans la réputation que lui-même assurément a permis qui vous ait été ôtée.  Dominus mortificat et vivificat, deducit ad inferos et reducit. 

Tout ce que la main de Dieu fait nous sert admirablement, quoique nous n'en voyions pas sitôt les effets. Il y a bien des années que la Providence con­duit cette Église, et nous par conséquent, par des voies fort pé­nibles et crucifiantes tant pour le spirituel que pour le temporel. 

Pourvu que sa sainte volonté soit faite, il ne nous importe.  Il me semble que c'est toute ma paix, mon bonheur en cette vie que de ne [vouloir] point d'autre paradis. 

C'est le royaume de Dieu qui est au dedans de l'âme qui fait notre centre et notre tout. 

Priez-le bien, sa sainte Mère, son saint Époux, tous les saints An­ges et bienheureux Esprits, qu'il me [fasse] la grâce de ne ja­mais rien vouloir que l'accomplissement de cette divine et aima­ble volonté per infamiam et bonam famam. 

Je vous recommande bien les besoins spirituels de notre Église aussi bien que les tem­porels, afin que Notre-Seigneur se glorifie en tout.  Je suis tout à vous en Son amour et celui de sa sainte Mère.

François, évêque de Québec.

 

J'ai été incommodé et retenu à la chambre pendant tout 1'hiver de fluxions et autres incommodités.  L'on m'a fait un cautère pour voir si cela n'en détournerait point le cours, mais il ne fait pas grand effet.  Je vous envoie les deux actes que vous m'avez demandés. Donnez-nous tous les ans de vos nouvelles; elles me consolent dans nos tribulations.

 

Altera nova positio pp. 207-208


Lettre écrite un an après le retour à Québec du bienheureux François de Laval qui avait démissionné de sa charge d'évêque de Québec. Il se trouvait alors au Séminaire de Québec.

Québec, ce 12 novembre 1689.

J'ai reçu, mon cher Monsieur, votre lettre d'Évreux du sep­tième de février.  Je ne puis vous écrire de ma main, ne faisant que relever d'une maladie qu'on croyait mortelle, qui a été pré­cédée, trois mois auparavant, d'une autre qui n'était pas moins dangereuse. Ce qui nous fait connaître que notre fin n'est pas éloignée. C'est en cet état qu'on reconnaît la vérité qu'il n'y a que Dieu seul et que tout le reste n'est rien qu'un pur néant. 

Souvenez-vous toujours de nous en sa sainte présence et lui demandez et [à] sa sainte Mère les grâces qui nous sont nécessaires pour nous disposer  à bien mourir.  Je suis tout à vous en leur amour.

François, ancien évêque de Québec.

 

Altera nova positio p. 208


 

1690

J'ai reçu, mon cher Monsieur, votre lettre du 3 mai, jour de la fête de l'Exaltation de la sainte Croix de Notre-Seigneur, Sau­veur de tous les hommes.

Vous avez raison de nous marquer dans votre lettre que la véritable marque de l'amour qu'il nous porte est de nous faire part de ses Croix, et qu'en faisant bonne part au Canada, il y doit répandre ses grâces et bénédictions. 

Sa pro­tection a paru cette année toute miraculeuse sur le Canada que les Anglais comptaient déjà de mettre en leur possession étant venus assiéger Québec avec une armée navale de plus de trente vaisseaux, avec du moins trois mille hommes, partis de Boston, ou ils avaient donné rendez-vous à une autre armée du moins de quatre mille hommes, composée d'Iroquois et Anglais de la Nou­velle-York. 

Notre plus grand secours a été à la prière et de faire diverses neuvaines à la sainte Vierge et à saint Joseph, aux saints Anges, aux âmes du purgatoire, à sainte Anne et à saint François Xavier, tous patrons particuliers de ce pays.  Ce moyen a été plus efficace que la force des armes, Dieu ayant mis la conster­nation dans leurs esprits et encouragé un petit nombre de nos habitants qui n'étaient pas au nombre au plus de trois cents et qui cependant ont obligé les ennemis, qui avaient fait une descente de plus de deux mille à une lieue de Québec, de se rembarquer la nuit, laisser cinq pièces de canon qu'ils avaient descendues à terre avec deux étendards. 

Nous n'avions pas en ce temps-là un seul vaisseau.  Les trois seuls que nous avons encore de dix qui sont partis de France n'étant arrivés que le 15 novembre, n'ont pas été protégés moins miraculeusement ayant été poursuivis des ennemis qui pendant cinq jours ont fait tous leurs ef­forts pour entrer dans un lieu où ils s'étaient réfugiés, en ayant toujours été repoussés par des vents contraires qui changè[rent] sur l'heure même que les nôtres y furent entrés, et enfin furent obligés par des tourbillons de neige et de mauvais temps de se re­tirer. 

L'on dit même que l'amiral a coulé à fond à vingt ou trente lieues d'ici, n'ayant pu trouver où il faisait eau du dommage qu'il avait reçu de notre canon.  L'on ne sait encore les accidents qui sont arrivés à nos autres vaisseaux, mais l'on rapporte qu'il y en a encore deux qui ne sont pas éloignés d'ici et qu'ils ont passé au travers des ennemis sans qu’ils leur aient rien fait.  Ce qui est certain, est qu'ils s'en retournent avec grande confusion et dé­sordre. 

Cette protection miraculeuse obligerait bien ce pauvre pays de reconnaître qu'il n'y a que Dieu seul qui a manifesté en cette occasion sensiblement sa toute-puissance et sa miséri­corde, de si puissants ennemis étant venus avec la résolution de mettre tout à feu et à sang. 

Je prie Notre-Seigneur et sa sainte Mère que tout le pays reconnaisse cette grâce et que les intérêts de Dieu seul soient à l'avenir leur seul intérêt et de procurer la gloire de son saint Nom en détruisant les péchés qui ont attiré ces fléaux de sa colère sur nous.  Ces châtiments ont été remplis de bonté et de miséricorde vraiment paternelles. 

Priez bien, mon cher Monsieur, Notre-Seigneur et sa sainte Mère, tous les saints Anges et les saints Patrons de cette Église que nous puissions faire un bon usage des Croix dont il plaît à Notre-Seigneur de faire bonne part au pays et spécialement à toute l'Église. 

Vous apprendrez, lorsque vous irez à Paris, de nos amis, des moyens dont il se sert pour cet effet, qui sont d'autant plus extraordi­naires qu'ils viennent de la part de ceux qui en doivent être tout l'appui. 

Notre-Seigneur est aimable en tout et en prenant tout de sa divine main, nous jouirons toujours d'une paix que tous les hommes ne nous peuvent ôter. 

Je serai toujours, le peu de jours qui me restent à vivre, tout à vous en l'amour de Jésus, Marie, Joseph, tous les saints Anges et tous les saints.

François, ancien évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 209-210


 

À Québec, ce 12 octobre 1692.

J'ai reçu, mon cher Monsieur, votre lettre dans laquelle je remarque que Notre-Seigneur vous continue ses grâces et misé­ricordes et vous fait toujours quelque part de sa Croix, et qu'elle vient pour l'ordinaire des personnes qui devraient être l'appui de ce qu'ils contrarient, afin qu'elles soient plus sensibles à la nature et qu'elles purifient davantage. 

Jamais on ne l'a expéri­menté de la manière que cette pauvre Église le ressent, Notre-Seigneur ayant permis que j'y aie introduit (par le choix que j'ai fait) une personne qui se déclare ennemi irréconciliable de tout le bien que nous avons fait notre possible d'y établir depuis trente ans.  Son voyage de France n'a été à d'autre dessein que de détruire ce Séminaire (si Notre-Seigneur lui avait permis) de fond en comble. Il s'est servi pour cet effet de tous les moyens que l'esprit humain et du démon peut former et inventer; ce qu'il continue depuis son retour.  Toutes les persécutions et op­positions que Dieu a permis que nous ayons reçues du dehors, quelque fortes et puissantes qu'elles aient été, n'ont été rien en comparaison de ces épreuves. 

Ce sont des marques assurées que c'est vraiment une œuvre de Dieu, et en effet il est tout le sou­tien et 1'appui de tout le bien qui s'est fait depuis trente ans et qui se fait journellement dans cette pauvre Église naissante.  J'estime que d'un côté qu'à mon regard, c'est la plus grande grâce que Notre-Seigneur me pouvait faire, dont je le loue et le bénis et sa sainte Mère; mais d'autre part, ce m'est une dou­leur bien sensible que celui qui devrait être l'appui et le soutien de cette Église naissante, serve d'instrument au démon pour tra­vailler à la destruction, tâchant d'y mettre autant qu'il peut la division et la confusion sous des apparences de bonnes intentions, qui sont de pures illusions et tromperies du démon.

Vous voyez, mon cher Monsieur, que nous avons un besoin extrême que No­tre-Seigneur apporte un prompt remède à ce mal, qui est sans remède, à moins que Dieu inspire au Roi (qui a connu la nature de l’esprit dans ce voyage) de le changer, étant comme impossible qu'il puisse lui-même changer de conduite et de maximes. Joi­gnez vos prières aux nôtres, afin que Notre-Seigneur se glorifie lui-même selon son bon plaisir.  M. Tremblay, qui va en France pour avoir besoin des affaires de ce Séminaire, vous instruira des particularités.  Il loge au Séminaire des Missions étrangères.

Je suis tout à vous en l'union et l'amour de Notre-Seigneur, de sa sainte Mère, des saints Anges et de tous les saints.

François, ancien évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 210-211


 

Les missions et la connaissance des populations

 

Lettre à deux missionnaires du Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal au lac Ontario, 14 février 1665

François, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège, Évêque de Pétrée, Vicaire Apostolique en la Nouvelle-France, nommé par le Roi premier évêque du dit pays, à notre bien-aimé en Notre­-Seigneur, François de Salagnac, prêtre, salut. 

C'est avec une singulière satisfaction et consolation de notre âme que Nous avons vu la ferveur et le courage avec lequel vous vous portez à la conversion des nations infidèles, et que pour l'exécution de ce pieux dessein vous Nous avez fait connaître les sentiments que Dieu vous a donnés d'aller avant cet hiver dans un lieu situé vers l'entrée plus proche de nous du lac nommé Ontario, côte du nord, pour y travailler à la conversion d'une nation que Nous avons appris qui s’y est établie depuis environ trois ans, et y chercher les brebis égarées que ci-devant les Pères de la Compagnie de Jésus avaient amenées an bercail de Notre-Seigneur Jésus ­Christ.

 Nous sentant d'autre part porté de contribuer de tout notre pouvoir et autorité à un zèle si saint, et le devoir de notre charge Nous obligeant de pourvoir aux besoins de ce lieu et ne pouvant le faire par Nous-même pour la trop grande distance, étant d’ailleurs bien informé de votre suffisance, piété et bonnes mœurs, Nous vous donnons pouvoir et autorité de travailler à la conversion de ce peuple, leur conférer les sacrements et généralement faire tout ce que vous jugerez à propos pour l’établissement de la Foi et l’accroissement du Christianisme nouveau; et ce autant de temps que Nous le jugerons à propos, vous enjoignant toutefois d’être subordonné en toutes les dites fonctions à notre bien-aimé Claude Trouvé, prêtre, que Nous associons avec vous pour le même dessein, et de recevoir en tout ce qui regardera le salut des âmes, la conduite et le pouvoir de lui, vous exhortant surtout de vivre ensemble dans une sainte union. 

Que si par une providence de Dieu, il se présente quelque occasion d’écrire à quelques-uns des Pères de la Compagnie de Jésus qui sont dans les nations iroquoises, Nous vous exhortons et désirons que vous confériez avec eux par lettres de toutes les difficultés que vous rencontrerez dans l’administration de vos fonctions et que vous vous conformiez à la pratique que les lumières de la grâce et leur longue expérience leur ont fait juger nécessaire d’établir pour la conduite de ces nouveaux Chrétiens, tant en ce qui concerne l’usage des sacrements qu'en tout le reste du spirituel. 

Mais sur toutes choses, Nous vous conjurons de leur faire paraître en toute sorte de rencontres des marques véritables et sincères du  ressentiment [n'a pas de sens péjoratif, mais équivaut à "sentiment" dans le langage d'aujourd'hui] très juste que vous avez avec Nous des grandes obligations dont cette Église naissante est redevable à cette sainte Compagnie, pour le zèle et les soins continuels avec lesquels elle y a travaillé depuis quarante ans et continue de faire encore aujourd'hui.

La grande bénédiction qu'il a plu à Notre-Seigneur de donner à ses travaux nous sert d'un puissant motif pour nous porter autant qu'il est en notre pouvoir de conserver toujours une liaison très étroite et intime union avec les religieux m­issionnaires de cette Compagnie, afin que n'ayant tous qu’un même cœur et un même esprit, il plaise à Notre-Seigneur Jésus Christ, le souverain Pasteur des âmes, vous rendre tous participants des mêmes grâces et bénédictions.

C'est ce que Nous le supplions très humblement de vous accorder par ses mérites, par l’intercession de sa très sainte Mère, du bienheureux saint Joseph, patron spécial de cette Église naissante, de tous les saints Anges tutélaires, des âmes qui sont sous notre charge et de tous les saints protecteurs de tout ce Christianisme. 

Donné à Québec, ce quinzième de septembre mil six cent soixante-huit.

François, évêque de Pétrée.

 

Altera nova positio pp. 212-214


Instruction pour nos bien-aimés en Notre-Seigneur Claude Trouvé et François de Salagnac, prêtres, allant en mission aux Iroquois situés en la côte du nord du lac Ontario 1668

 

1- Qu'ils se persuadent bien qu'étant envoyés pour travail­ler à la conversion des infidèles, ils ont l'emploi le plus impor­tant qui soit dans l'Église; ce qui les doit obliger, pour se ren­dre dignes instruments de Dieu, à se perfectionner dans toutes les vertus propres d’un missionnaire apostolique, méditant sou­vent à l'imitation de saint François Xavier, le patron et l'idée des missionnaires, ces paroles de 1'Évangile: «Quid prodest homini si universum mundum lucretur, anima vero sua detrimen­tum patiatur».

2- Qu'ils tâchent d'éviter deux extrémités qui sont à craindre en ceux qui s'appliquent à la conversion des âmes; de trop espé­rer ou de trop désespérer. 

Ceux qui espèrent trop, sont souvent les premiers à désespérer de tout à la vue des grandes difficultés qui se trouvent dans l'entreprise de la conversion des infidèles, qui est plutôt l'ouvrage de Dieu que de l'industrie des hommes.

Qu'ils se souviennent que la semence de la parole de Dieu fru­ctum affert in patientia. 

Ceux qui n'ont pas cette patience sont en danger, après avoir jeté beaucoup de feu au commencement, de perdre enfin courage et de quitter l'entreprise.

3- La langue est nécessaire pour agir avec les sauvages; c'est toutefois une des moindres parties d'un bon missionnaire, de même que dans la France, de bien parler français n'est pas ce qui fait prêcher avec fruit.

4- Les talents qui font les bons missionnaires, sont:

           Être rempli de l'esprit de Dieu. 

Cet esprit doit animer nos paroles et nos coeurs.  Ex abundantia cordis os loquitur.

     2° Avoir une grande prudence pour le choix et l'ordre des choses qu’il faut faire, soit pour éclairer l'entendement, soit pour fléchir 1a volonté; tout ce qui ne porte point là sont paroles perdues.

3° Avoir une grande application pour ne perdre pas les moments de salut des âmes et suppléer  à la négligence qui souvent se glisse dans les catéchumènes; car comme le diable de son côté venit tamquam leo rugiens, quaerens quem devoret, ainsi faut-il que nous soyons vigilants contre ses efforts avec soin douceur et amour.

4° N’avoir rien dans notre vie et dans nos mœurs qui paraisse démentir ce que nous disons ou qui mette de l’indisposition dans les esprits et dans les coeurs de ceux qu’on veut gagner à Dieu.

5° Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité et se gagner les esprits et les coeurs pour les gagner à Dieu; souvent une parole d'aigreur, une impatience, un visage rebutant, détruiront en un moment ce que l’on avait fait en un long temps.

6° L'esprit de Dieu demande un cœur paisible, recueilli et non pas un cœur inquiet et dissipé. 

Il faut un visage joyeux et modeste, il faut éviter les railleries et les ris déréglés et généra­lement tout ce qui est contraire à une sainte et joyeuse modestie.  Modestia vestra nota sit omnibus hominibus.

5- Leur application principale dans l'état présent où ils se trouvent sera de ne laisser mourir autant qu'il sera possible aucun sauvage sans baptême.

Qu'ils prennent garde néanmoins d'agir toujours avec prudence et réserve dans les occasions à l'égard des baptêmes des adultes et même  des enfants hors des dangers de mort.

6- Dans le doute qu'un adulte aura été autrefois baptisé, qu'ils le baptisent sous condition, et pour assurer davantage son salut, qu'ils lui fassent faire en outre une confession générale de toute sa vie, l'instruisant auparavant des moyens de la bien faire.

7- Qu'ils aient un grand soin de marquer par écrit les noms des baptisés, des pères et mères et même de quelques autres pa­rents, le jour, le mois et l'année du baptême.

8-  Dans les occasions, qu'ils écrivent aux Pères Jésuites qui sont employés dans les missions iroquoises pour la résolution de leurs doutes et pour recevoir de leur longue expérience les lu­mières nécessaires pour leur conduite.

9-  Ils auront aussi un grand soin de Nous informer par tou­tes les voies qui se présenteront, de l'état de leur mission et du progrès qu'ils feront dans la conversion des âmes.

10- Qu'ils lisent souvent ces avis et les autres mémoires des instructions que Nous leur avons données pour s'en rafraîchir la mémoire et les bien observer, se persuadant bien que de là dépend 1’heureux succès de leur mission.

             François, évêque de Pétrée

 

Altera nova positio pp. 214-216


Extraits de la lettre à Monsieur Henri Tremblay, procureur du Séminaire de Québec concernant la fondation d'une mission auprès de la tribu des Akansas, 1699.     

J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait la grâce de m'écrire. Quand bien [même] les missionnaires qui sont par­tis l'an passé du Séminaire de Québec pour les missions de Mississippi auraient différé leur départ à cette année, ils n'auraient rien avancé au regard de la langue, toutes ces nations ayant des langues fort différentes qui ne peuvent s'apprendre que sur les lieux même.

Mais quelques autres raisons auraient pu porter le Séminaire au délai d'une année, qui lui aurait donné le temps d'en pouvoir donner avis à celui de Paris avant l'exécution de ce dessein, quoique d'ailleurs il fût assez persuadé, suivant ce qu'il lui avait toujours témoigné, que tout son désir était qu'il s'employât autant qu'il lui serait possible à la conversion des sau­vages conformément à sa vocation et à l'esprit et à la grâce de son institut.

Notre-Seigneur par sa bonté et miséricorde et par la protec­tion particulière de sa sainte Mère a donné beaucoup de béné­diction à l'envoi de ces missionnaires, qui ont été dans les na­tions les plus éloignées et y ont établi deux missions considéra­bles, qui se trouvent par la Providence toutes proches des lieux auxquels M. d'Iberville s'est transporté dans le Mississipi.

Et ils nous marquent que ce sont des peuples fort doux et dociles et autant bien disposés pour la Foi que l'on puisse le désirer, dont ils ont eu des marques ne faisant que d'arriver à la mort du chef principal d'une de ces nations, auquel ayant conféré le saint Baptême, après l'avoir instruit par interprète, il mourut peu de temps après dans des sentiments aussi chrétiens que s'il avait eu plusieurs années de christianisme.

Une seule chose m'a extrêmement contristé, qui est la peine que les Pères Jésuites ont paru avoir au sujet de l'établissement que M. de Montigny (comme ayant la conduite de cette mission) a fait à la nation des Tamarois, sur lequel vous serez informé et ne vous toucherai ici que ce qui est de principal.

Le Séminaire ayant résolu de commencer par les nations les plus éloignées et abandonnées à travailler au salut et à la con­version de ces pauvres peuples, il jugea bien qu'il n'était pas possible d'exécuter ce dessein, s'il n'avait un établissement plus proche, qui lui pût servir pour avoir une correspondance facile tant à Québec qu'avec les missionnaires qui seraient dispersés dans les dites nations éloignées.

 

L'on s'informa des personnes les plus intelligentes et qui ont la connaissance de tous ces pays-là, quel lieu l'on pourrait prendre à cet effet, et le sentiment com­mun fut que le plus commode et l'unique même qui fût propre pour cet établissement, était la nation des Tamarois à raison de sa situation sur le bord du fleuve Mississipi, qu'elle n'était point des missions des Pères Jésuites et qu'elle était éloignée de quatre-vingt-dix lieues du dernier de leur établissement.

 

Nous jugeâmes à propos, outre toutes ces connaissances, nous devoir informer de la chose des Pères Jésuites même et les envoyai prier que je pusse les voir. Le Père Germain, qui tenait la place du supérieur en son absence, me vint trouver et lui ayant demandé si les Tamarois étaient de leurs missions et s'ils y étaient établis, il répondit qu'ils n'étaient point de leurs missions et qu'ils n'y avaient point d'établissement. Les missionnaires, qui étaient pour lors sur leur départ, qui fut deux jours après, prirent de Mgr de Québec des lettres du dit lieu des Tamarois, auquel étant arrivés, ils furent priés et fort pressés par les sauvages d'y demeurer, et leur firent présent de deux esclaves pour les obliger à s'y établir pour les instruire  la prière.

 

Mais ayant dessein d'aller auparavant jusqu'aux nations plus éloignées, afin de pouvoir mieux juger de la nécessité qu'il y avait de faire un établissement à la dite nation des Tamarois; ils passèrent outre et allèrent jusqu'aux nations auxquelles ils ont jugé, étant considérables, devoir y établir deux missions, auxquelles il réside deux mis­sionnaires, et y ont fait construire par des artisans, qu'ils y avaient menés exprès, en chaque mission une église et une mai­son pour le missionnaire, et ils reconnurent pour lors, tant à cause du grand éloignement que par plusieurs autres considéra­tions, qu'il était absolument nécessaire de faire le dit établisse­ment des Tamarois, sans lequel ils virent manifestement qu'il se­rait impossible de soutenir les missions éloignées et de pourvoir aux besoins des missionnaires qui y seraient employés. Ce qui leur fit prendre la résolution de remonter jusqu'au dit lieu des Tamarois, auquel M. de Montigny y établit un missionnaire et y firent construire en même temps une église et une maison, comme ils avaient fait aux deux autres lieux de leurs missions.

 

Vous pouvez bien voir que dans le procédé que nous avons tenu, que nous n'avons rien omis de notre côté pour faire con­naître aux Pères Jésuites l'estime et l'affection que nous avons pour toutes leurs missions et le désir de conserver avec eux l'union dans laquelle nous avons toujours vécu jusqu'à présent.

 

J'aurais de la peine à croire ce que quelques-uns ont dit, que M. de Montigny avait donné parole que l'on ne ferait point d’éta­blissement aux Tamarois, et il a mandé au contraire que l'on pouvait bien juger qu'il n’aurait garde de s'engager à cela, puis­que l'on avait eu des lettres de Mgr de Québec pour s'y établir, mais qu'il est vrai qu'il avait donné parole que, conformément aux sentiments dans lequel était le Séminaire, l'on ne ferait point d'établissement en aucun lieu où les Pères Jésuites seraient établis, et qu'étant arrivés au dit lieu des Tamarois, ils ont été confirmés par tous ceux qui sont en ce pays-là, tant sau­vages que Français, et par M. de Tonty même, qui a sa seigneurie des Illinois et qui y fait sa demeure, qu'ils n'y ont point d'éta­blissement ni aucune résidence; que depuis qu'ils sont établis aux Illinois, il y a approchant de vingt ans, ils n'y ont été qu'une seule fois, et celui qui y fut n'y demeura pas une semaine entière et qu'ils ont pris seulement occasion, lorsqu'ils sont venus au fort des Illinois, d'en instruire et baptiser quelques-uns.

 

C’est ce que contient une lettre que mon dît sieur de Tonty écrit à Mgr de Québec.

 

Le Père Supérieur est venu ces derniers jours me donner avis que le P. de Careil lui écrit de sa mission que M. de Tonty doit faire bâtir une église au fort des Illinois pour M. de Mon­tigny, c'est-à-dire pour les missionnaires dont il a la conduite, qui est un lieu où il m'a dit que quelques-uns de leurs Pères ont demeuré.

 

Sur quoi je l'ai assuré qu'il ne doit pas croire que le Séminaire puisse avoir la moindre pensée de s'établir ni les trou­bler dans aucun lieu où ils auront résidé, et si M. de Montigny a ce dessein, il use à notre endroit d'une grande dissimulation, nous ayant écrit que quoique les missionnaires ne se puissent absolument passer de l'établissement fait à la nation des Tama­rois, que l'on ne s'attende pas cependant qu'il y puisse demeurer, y ayant de la peine, à moins que l'on ne le juge absolument né­cessaire, et qu'il croit qu'il fera du bien à la nation des Natchez et Taensas, où il a établi sa résidence.

 

Il est vrai que les missions qu'il a établies accompagné des missionnaires du Séminaire de Québec ont été faites au nom du dit Séminaire. Mais s'il voyait qu'il y eût la moindre apparence qu'il voulût traverser les missions des Pères Jésuites, comme celle du fort des Illinois (ce qu'il n'y a aucun bon fondement de croire), il n'en trouverait aucun qui entrât dans ses sentiments, le Séminaire n'ayant en vue que de travailler et procurer au­tant qu'il y est obligé par sa vocation le salut des pauvres sau­vages en esprit d'union avec leurs missionnaires et de ne porter aucun préjudice à leurs missions, auxquelles nous savons qu'ils travaillent avec toute sorte de bénédictions.

 

Nous ne saurions à la vérité nous persuader qu'ils aient un juste et véritable sujet d'avoir de la peine que les missionnaires du Séminaire se soient établis aux Tamarois, lesquels n'étant point mêlés dans les missions qu'ils occupent, ne peuvent leur porter aucun préjudice dans l'éloignement au moins de quatre-vingt-dix lieues, et quoiqu'ils parlent la même langue que les Illinois, où les Pères Jésuites sont établis, [ce] qui leur donne occa­sion de se fréquenter les uns les autres, il ne s'en peut suivre aucun inconvénient au regard de l'union entre les missionnaires de l'un et de l'autre corps, comme l'expérience le fait voir à l'Acadie, où les missionnaires du Séminaire, tant ceux qui y sont morts que ceux qui y sont à présent, ont toujours vécu avec les Pères Jésuites qui y sont employés aux sauvages, dans une aussi grande union que s'ils étaient du même corps, et je puis dire en quelque manière plus grande.

 

Le Père Supérieur m'ayant dit confidemment qu'il a été obligé depuis quelques mois de re­tirer de la dite mission le P. Rasle, lequel (quoique bon religieux) ayant des principes et des manières différentes dans la conduite des sauvages, ne pouvait pas s'accommoder avec le P. Bigot, les dits sauvages néanmoins, tant les uns que les autres, sont tous Abénaquis, parlent une même langue, se fréquentent les uns les autres, contractent les alliances réciproques, et sont bien plus proches les uns des autres que ne sont pas les Tamarois des Illinois.

 

Ce n'est point, par la miséricorde de Notre-Seigneur; l'esprit de jalousie et d'ambition qui a porté le Séminaire à faire cet établissement et à le vouloir conserver, ni même le droit qu'il peut justement y prétendre, qu'il sacrifierait de bon cœur pour le bien de la paix et union, mais uniquement la nécessité indispensable qu'il a de ce lieu pour le soutien des missions qu'il a entreprises, lesquelles, sans cet établissement, ne pourraient pas subsister, dont les Pères Jésuites conviennent avec nous.

 

Et, en conséquence de cette nécessité, qui leur est autant connue qu'au Séminaire même, ils ont proposé que les missionnaires de part et d'autre demeurent dans le même lieu; mais il est assuré que deux corps différents et indépendants ne peuvent pas subsister ensemble sans altérer l'union et la bonne intelligence qui doit être entre ouvriers de l'Évangile.

 

L'on ne voit pas d'ailleurs que les Pères Jésuites puissent avoir aucun besoin de ce lieu, en ayant tant d'autres dans l'espace de plus de trois cents lieues depuis Michilimakinac jusqu'aux Illinois; et le Séminaire n'ayant que la seule mission des Tama­rois, où un supérieur des missions puisse avoir sa résidence et donner un moyen aux missionnaires d'y aller et d'y avoir la cor­respondance qu'il jugera nécessaire pour le soutient des missions, et pourvoir de ce lieu à tous les besoins spirituels et temporels, je ne puis me persuader qu'après y avoir fait réflexion qu'ils voulussent porter un si notable préjudice à une œuvre à laquelle il nous semble qu'ils doivent prendre le même intérêt que le Séminaire.

 

Ils savent qu'il y a cinq ou six ans que Monseigneur voulant d'une autorité absolue les empêcher de retourner à la mission des Abénaquis, où ils avaient demeuré et que M. Thury, très bon missionnaire (que Notre-Seigneur a appelé cette année à lui), avec d'autres ecclésiastiques du Séminaire y allassent à leur place, le Séminaire n'ayant aucune vue de ses intérêts particuliers et ne regardant en cela que la gloire de Dieu et le salut des âmes, bien loin de tirer l'avantage qu'il pouvait de cette occasion et d'ambitionner de s'établir dans cette mission, lui déclara qu'il était tout prêt d'y envoyer M. Thury, pourvu que le P. Bigot y retournât; à quoi, continuant de s'opposer, on fut obligé d'en venir à quelque extrémité pour trouver les moyens de procurer leur rétablissement en cette mission, où ils ont toujours demeuré depuis et qui est une de leurs plus belles missions, et le Séminaire pour conserver 1’union serait disposé d'en faire encore autant, si une occasion semblable se présentait.

 

Jugez, Monsieur, si dans l'entreprise que le Séminaire a faite des missions du Mississipi et la nécessité indispensable qu'il a reconnue (après s'être informé) qu'il avait pour l'exécution de ce dessein, de faire un établissement à la nation des Tamarois, il m'a été possible de donner aux Pères Jésuites de plus grandes marques du désir que nous avons de conserver l'union que d'avoir voulu être assuré par eux-mêmes que ce lieu n'était point de leurs missions et qu'il n’y avait aucun établissement, et ce qu'ils allèguent que le P. Germain ne le connaissait pas, ne se peut croire, étant une personne aussi sage et prudente qu'il est et nous l'ayant dit aussi positivement qu'il fit, et d'ailleurs le P. Bruyas et plusieurs autres de leurs Pères, qui ne pouvaient ignorer ce que le P. Germain, qui tenait la place du supérieur en son ab­sence, nous avait dit, et qui avait une parfaite connaissance de ce qui regardait les Tamarois, n'auraient pas manqué de nous informer du contraire et n'auraient pas attendu à le faire, après que toutes choses ont été disposées pour les missions que l'on a établies par rapport à l'établissement qui a été fait à la nation des Tamarois, si en effet elle avait été de leurs missions.

 

                                 François, évêque de Québec

 

Altera nova positio pp. 609-616


 

Écrits pastoraux

 

Décret qui institue la Confrérie de la Sainte Famille, 14 mars 1665.

Nous François, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège, évê­que de Pétrée, Vicaire Apostolique en la Nouvelle-France, nommé par le Roi premier Évêque du dit pays, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut en Notre-Seigneur.

Ayant plu à la divine Providence Nous charger de la conduite de cette nouvelle Église, Nous sommes obligé de veiller sans cesse au salut des âmes qu'elle a confiées à nos soins; ce qui nous aurait fait cher­cher des moyens pour inspirer une véritable et solide piété à tou­tes les familles chrétiennes, à quoi Nous désirons travailler avec d'autant plus de fidélité que Nous savons qu'elles doivent, selon les desseins de Dieu, servir à la conversion des infidèles de ce pays par l'exemple d'une vie irréprochable. Dans cette vue, Nous n'avons pas estimé pouvoir faire choix d'un moyen plus efficace et plus solide pour le salut et la sanctification de toute sorte de personnes, que de leur imprimer vivement dans le cœur un amour véritable et une dévotion spéciale tant envers la très sainte et très sacrée Famille de Jésus, Marie et Joseph qu'à l'égard de tous les saints Anges.

Il semble que Dieu ait pris plaisir à ren­dre lui-même cette dévotion recommandable en plusieurs villes d'Europe, dans ces dernières années, par quelques événements qui tiennent quelque chose du miracle, pendant qu'il donnait en Canada de très fortes inspirations à beaucoup de bonnes âmes de se dévouer au culte de cette sainte Famille et de Nous prier instamment, pour rendre la chose plus stable et plus utile, d'éta­blir dans Québec et autres lieux de notre juridiction quelques assemblées de femmes et de filles, où on les instruirait plus en détail des choses qu'elles sont obligées de savoir pour vivre sain­tement dans leur condition, à l'exemple de la sainte Famille qu'el­les se proposent pour modèle avec les saints Anges.

Nous, à ces causes, pour procurer la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes, et spécialement pour le grand désir que nous avons de graver et accroître, autant qu'il est en notre pou­voir, dans les cœurs de tous les peuples que Dieu, par sa divine providence, a commis à notre conduite, l'amour et la dévotion envers cette sacrée Famille de Jésus, Marie et Joseph et les saints Anges, permettons, agréons et approuvons les dites assem­blées être faites à Québec et tous autres lieux de notre juridic­tion, pour être les dites assemblées toutes unies à celles de notre principale résidence, sous la conduite des ecclésiastiques faisant les fonctions curiales ou autres à notre choix, lesquels Nous ex­hortons et tous ceux qui sont appliqués aux saints ministères, d'inspirer et augmenter, autant qu'il sera en eux, l'amour et la dévotion envers la dite sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph et des saints Anges, comme étant une source inépuisable de grâces et de bénédictions pour toutes les âmes qui y auront une sincère confiance, et de contribuer de tout leur pouvoir à l'établissement, progrès et perfection des dites assemblées.

Et afin de rendre cette association plus permanente et plus solide, nous avons bien voulu Nous-même dresser les règlements que Nous voulons y être observés, sans qu'il soit permis à qui que ce soit d'y rien ajouter, retrancher ou changer sans notre permission.

Donné à Québec en notre demeure ordinaire, sous notre sceau et seing de notre secrétaire, le quatorzième de mars mil six cent soixante et cinq.

 

Altera nova positio pp. 224-225


Extrait des règlements de la Confrérie des femmes établie en l'église de Notre-Dame de Québec sous le titre de la sainte Famille de Jé­sus, Marie et Joseph et des saints Anges (1665).

CHAPITRE    PREMIER

Du dessein et de la fin de cette Confrérie

 

Le dessein et la fin de cette dévotion est d'honorer la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph et des saints Anges, et de ré­gler les ménages chrétiens sur l'exemple de cette sainte Famille, qui doit être le modèle de toutes les autres; de sanctifier les ma­riages et les familles; d'en exclure le péché, particulièrement celui de l'impureté, cette peste des mariages, qui est la source de tant de maux et qui peuple la terre et les enfers d'enfants de Satan qui blasphémeront toute l'éternité leur Créateur; d'y éta­blir les vertus chrétiennes, particulièrement la chasteté, l'hu­milité, la douceur, la charité, 1'union des cœurs, la patience dans les tribulations, et, par ce moyen, de peupler la terre et le ciel d'enfants de Dieu qui loueront éternellement leur Père céleste. C'est ce que procureront les bons et saints mariages, suivant ce que nous enseigne Notre-Seigneur qu’un bon arbre ne peut pro­duire de mauvais fruits. C'est à cela que doivent tendre et con­tribuer toutes les âmes dévotes à la sainte Famille, comme le moyen le plus efficace pour la faire honorer.

 

 

CHAPITRE    DEUXIÈME

De 1'esprit de cette Confrérie

 

L'esprit de cette Confrérie consiste à imiter les sacrées per­sonnes qui composent la sainte Famille, chacun selon son état et sa condition.

Les femmes auront un soin particulier d'imiter la sainte Vier­ge, qu'elles auront toujours devant les yeux comme le modèle de leurs actions, et la considéreront comme leur supérieure et la règle de leur perfection, étant assurées qu'elles seront de la sainte Famille autant qu'elles imiteront de plus près ses vertus [...]

Les principales qu'elles doivent se proposer, sont les sui­vantes:

   Envers Dieu, la crainte de l'offenser; la promptitude dans les choses où il va de son honneur et de son service; une grande soumission et conformité à sa volonté dans les accidents les plus fâcheux; un profond respect pour toutes les choses saintes.

   Envers le mari, un amour sincère et cordial qui fasse qu'on ait un grand soin de tout ce qui le regarde selon le tem­porel et le spirituel, tâchant toujours de le gagner à Dieu par prières, bons exemples et autres moyens convenables; le respect, l’obéissance, la douceur et la patience à souffrir ses défauts et ses mauvaises humeurs.

   A l'égard des enfants, un grand soin de les élever dans la crainte de Dieu, de leur apprendre et de leur faire dire tous les jours leurs prières; leur inspirer une grande horreur du péché; ne leur souffrir rien où Dieu pourrait être offensé; une grande douceur à les corriger; la patience à souffrir leurs petites faiblesses, envisageant sans cesse dans leurs personnes celle de l'Enfant-Jésus, dont ils sont les images vivantes; garder la net­teté et la propreté dans leurs habits, évitant les ajustements qui ne servent qu'à nourrir la vanité des parents et à l'inspirer aux enfants.

   A l'égard des serviteurs, faire son possible pour qu'ils évitent le péché et pour les rendre affectionnés au service de Dieu; ne pas permettre qu'ils prononcent de mauvaises paroles; les envoyer à confesse, au sermon, surtout au catéchisme, autant que faire se pourra; leur payer exactement leurs gages; ne leur point donner occasion de murmurer et d'offenser Dieu, mais les traiter avec amour.

   Envers le prochain, la charité, la patience, la douceur, l'humilité, et tâcher de le gagner à Dieu en le retirant du péché­ par les bons discours et les bous exemples qui persuadent plus efficacement que les paroles.

   A l'égard du ménage, un grand soin et une grande vigi­lance, prenant garde que rien ne se perde ni se gâte par sa faute, et une propreté sans affectation.

   A l'égard de soi-même, l'humilité, la douceur, la chas­teté, la tempérance dans le boire et le manger, la modestie et la tenue en paroles, la simplicité en les habits, y gardant la propreté et y évitant la vanité et ce qui excède l'état et la condition, enfin un très grand soin de retrancher tout ce que l'on connaîtra être déplaisant à Dieu et ce qui ne sera pas conforme à l'esprit de la sainte Famille, se disant souvent à soi-même: comment est-ce que la sainte Vierge agissait en cette occasion? faisait-elle cela? parlait-elle? s'habillait-elle de cette sorte?

Cette imitation est tellement essentielle que si elle manquait, l'on ne serait pas véritablement de la sainte Famille, quoique l'on fît tout le reste; et au contraire, quand l'on omettrait le reste, pourvu que ce ne fût ni par mépris ni par négligence, l'on serait encore de cette auguste Famille, et ce d'autant plus qu'on imi­terait de plus près les vertus que l'on y remarque; et pour ren­dre cette imitation parfaite, l'on doit considérer dans la personne du mari celle de saint Joseph, dans celle de la femme la sainte Vierge, dans les enfants 1'Enfant-Jésus, dans les serviteurs les saints Anges, et chacun se doit proposer d'imiter principalement la personne qu'il représente pour rendre une sainte Famille ac­complie.

 

Altera nova positio pp. 226--228


Décret qui institue la fête de la Sainte Famille dans le diocèse de Québec, 4 novembre 1684.

Les grandes bénédictions qu'il a plu à la divine Majesté de verser sur cette Église naissante et ce nouveau Christianisme par les mérites de la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph et les saints Anges, Nous ayant obligé de condes­cendre aux pieuses intentions de plusieurs personnes qui nous auraient humblement supplié de permettre dans tout notre dio­cèse des assemblées de femmes et de filles pour y être instruites plus en détail des choses qu'elles sont obligées de savoir pour vivre saintement dans leur condition, à l'exemple de cette même sainte Famille qu'elles se proposent pour idée, modèle et exem­plaire avec les saints Anges; et ayant sujet de bénir Dieu de l'heureux succès qu'il a donné à ces assemblées; désirant d'abon­dant graver et accroître, autant qu'il est en notre pouvoir, dans les cœurs que Dieu par sa divine providence a commis à nos soins et à notre conduite, l'amour et la dévotion envers cette sacrée Famille Jésus, Marie, Joseph et les saints Anges; vu nos lettres d'établissement de la dite confrérie et association du 14 mars 1665 et la bulle de Notre Saint-Père le Pape Alexandre VII, d'heu­reuse mémoire, contenant les indulgences accordées à la dite con­frérie, donnée à Rome le 28 janvier 1665; Nous avons ordonné et ordonnons par ces présentes que tous les ans on célébrera dans toute l'étendue de notre diocèse une fête en l'honneur de cette même sainte Famille, qui sera de première classe avec octave, ainsi qu’il est pratiqué depuis plusieurs années.

 

Et d'autant que la saison extrêmement froide et incommode en laquelle l'on a célébré jusqu'à présent la dite fête, à savoir au second dimanche d'après 1'Épiphanie, ayant presque toujours détourné une grande partie des fidèles de venir à l'église pour la solenniser, les aurait portés à Nous supplier, comme ils ont fait souvent, qu'il Nous plût la transférer à un autre temps plus commode, Nous, ayant égard à leur bonne et pieuse demande et voulant, autant qu'il est en Nous, contribuer à rendre la dévotion à cette fête plus célèbre et plus fréquentée par les peuples de notre diocèse, Nous avons pareillement ordonné et ordonnons qu'au lieu du second dimanche d'après 1'Épiphanie auquel Nous avions assigné la cé­lébration de cette fête de la sainte Famille, elle sera dorénavant célébrée le troisième dimanche d'après Pâques comme au temps qui Nous a semblé plus propre à exciter les fidèles à la bien solenniser et faire leurs dévotions; voulons de plus que, jusqu'à ce qu'il en ait été par Nous autrement ordonné, l'office et la messe de cette même fête se diront en la manière qu'ils on été approuvés de Nous, enjoignant à tous les ecclésiastiques de notre diocèse qui disent la messe ou qui sont obligés au bréviaire, de le réciter et d'inspirer à toutes les personnes qui leur sont commises, le respect, 1'amour et la vénération qu'elles doivent avoir pour la plus aimable de toutes les familles et de la protection de laquelle elles doivent attendre toute sorte de secours et de bénédictions, Dieu ayant même pris plaisir à rendre cette dévotion recomman­dable, tant dans 1'ancienne que dans la nouvelle France, par un grand nombre d'effets miraculeux qui ont été opérés par son moyen.

 

Mandons à tous les ecclésiastiques employés aux fonc­tions curiales dans notre diocèse qu'aussitôt qu'ils auront reçu notre présent mandement, ils aient à le publier ou le faire pu­blier au prône.

 

Donné à Québec, le quatrième jour de novembre mil six cent quatre-vingt-quatre.

François, évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 229-230


Formule de vœu qui commença à être fait environ 1'an 1636 et s'est depuis renouvelé tous les ans par dévotion, sans obliga­tion de le renouveler (renouvelé encore aujourd'hui le 8 décembre de chaque année par les prêtres du Séminaire de Québec).

Adorable Jésus, Sauveur du monde,

 

quoique nos péchés nous doivent éloigner de votre présence,

si est-ce qu'étant épris d'une affection de vous honorer et votre très sainte Mère,

et poussés du désir de nous voir dans la fidèle correspondance que vous désirez de vos serviteurs,

pour vous faire reconnaître et adorer des peu­ples de ces pauvres contrées,

 

nous voici prosternés à vos pieds,

où nous vous promettons et faisons vœu,

comme aussi à la très sainte Vierge, votre Mère,

de célébrer douze fois ces douze mois suivants le sacrifice de la sainte messe,

et pour ceux qui ne sont prêtres de communier et dire le chapelet autant de fois,

et ce à 1’honneur et en action de grâce de

l'Immaculée Conception de cette sainte Vierge, votre Mère;

comme aussi de jeûner tous la veille de cette sienne fête

à la même intention.

 

Le tout de plus pour obtenir de votre bonté et miséricorde

par son intercession et par ses mérites

la conservation de ce pays

et la conversion des pauvres sauvages qui l'habitent.

 

 

Recevez donc,

ô sainte et sacrée Reine des Anges et des hommes,

sous votre sainte protection,

ces peuples désolés et abandonnés que nous vous présentons

 

par les mains de votre Époux

et de vos fidèles serviteurs

saint Ignace et saint François Xavier

et de tous les Anges gardiens et protec­teurs de ces lieux,

 

pour les offrir à votre bien-aimé Fils,

à ce qu'il lui plaise les maintenir

et conserver contre leurs ennemis,

donner la connaissance de son saint Nom à ceux qui ne l'ont pas encore,

et à tous la persévérance

en sa sainte grâce et son saint amour.

 

Ainsi soit-il.

 

 

François, évêque de Pétrée.

 

Altera nova positio pp. 218-219


 

Lettres patentes établissant le Séminaire et le clergé (25 mars 1663)

 

FRANÇOIS, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège, Évêque de Pétrée, Vicaire-Apostolique en Canada dit la Nouvelle-France, nommé par le Roi premier Évêque du dit pays, lorsqu'il aura plu à N. S. P. le Pape y ériger un Évêché.

 

A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut.

 

 

Les Saints Conciles et ceux de Trente particulièrement, pour remettre efficacement la Discipline Ecclésiastique dans sa pre­mière vigueur, n'ont rien trouvé de plus utile que d'ordonner le rétablissement de 1'usage ancien des Séminaires, où l'on instruit les clercs dans les vertus et les sciences convenables à leur état.

 

L'excellence de ce décret s'est fait voir par une expérience toute sensible, puisque le grand St Charles de  Boromée qui l'exé­cuta le premier, bientôt après ce Concile, et plusieurs Évêques qui ont suivi son exemple, ont commencé de redonner au Clergé sa première splendeur, particulièrement en France;

 

Ce moyen si efficace pour réformer la conduite ecclésiastique dans les lieux ou elle s'était affaiblie, nous a fait juger qu'il ne serait pas moins utile pour l'introduire où elle n'est pas encore, qu'il l'a été dans les premiers siècles du Christianisme; à ces causes, considérant qu'il a plû à la Divine Providence nous charger de l'Église naissante du Canada dit la Nouvelle-France;

 

Et qu'il est d'une extrême importance dans ses commencements de donner au Clergé la meilleure forme qui se pourra pour perfectionner des ouvriers, et les rendre capables de cultiver cette nouvelle vigne du Seigneur, en vertu de l'autorité qui nous a été commise, nous avons érigé et érigeons dès à présent, et à perpétuité, un Séminaire pour servir de Clergé à cette nouvelle Église, qui sera conduit et gouverné par les supérieurs que nous ou les Successeurs Évêques de la Nouvelle-France y établiront, en suivant les règlements que nous dresserons à cet effet;

 

Dans lequel on élèvera et formera les jeunes Clercs qui paraîtront propres au service de Dieu, et auxquels, à cette fin, on ensei­gnera la manière de bien administrer les sacrements, la méthode de catéchiser et prêcher apostoliquement, la Théologie morale, les cérémonies, le plain-chant grégorien, et autres choses appartenantes au devoir d'un bon Ecclésiastique;

 

Et en outre afin que l'on puisse, dans le dit Séminaire et Clergé, former un Chapitre qui soit composé d'Ecclésiastiques du dit Séminaire, choisis par nous, et les Évêques du dit pays qui succéderont, lorsque le roi aura eu la bonté de le fonder; ou que le dit Séminaire de soi, aura le moyen de fournir cet établissement par la bénédiction que Dieu y aura donnée, nous désirons que ce soit une continuelle École de vertu et un lieu de réserve d'où nous puissions tirer des sujets pieux et capables pour les envoyer à toutes rencontres, et au besoin dans les paroisses, et tous autres lieux du dit Pays, afin d'y faire les fonctions curiales, et autres, auxquels ils auront été destinés, et les retirer des mêmes paroisses et fonctions quand on le jugera à propos, nous réservant pour toujours et aux successeurs Évêques du dit pays comme aussi au dit Séminaire par nos ordres, et des dits Sieurs Évêques, le pouvoir de révoquer tous les Ecclésiastiques qui seront dé­partis et délégués dans les paroisses et autres lieux toutes fois et quantes qu'il sera jugé nécessaire, sans qu'aucun puisse être titulaire, et attaché particulièrement à une Paroisse, voulant au contraire qu'ils soient de plein droit, amovibles, révocables et destituables à la volonté des Évêques et du Séminaire par leurs ordres, conformément à la sainte pratique des premiers siècles, suivie et conservée encore à présent en plusieurs Diocèses de ce Royaume;

 

Et d'autant qu'il est absolument nécessaire de pourvoir le dit Séminaire et Clergé d'un revenu capable de soutenir les charges et les dépenses qu'il sera obligé de faire, nous lui avons appliqué et appliquons, affecté et affectons dès à présent et pour toujours toutes les Dixmes de quelque nature qu'elles soient, et en la manière qu'elles seront levées dans toutes les Paroisses et lieux du dit pays pour être possédées en commun et administrées par le dit Séminaire suivant nos ordres et sous notre autorité, et des Successeurs Évêques du pays, à condition qu'il fournira la subsistance à tous les Ecclésiastiques qui seront délégués dans les paroisses et autres endroits du dit Pays, et qui seront toujours amovibles, et révocables au gré des dits Évêques et Séminaire par leurs ordres; qu'il entretiendra tous les dits Ouvriers évangéliques, tant en santé qu'en maladie, soit dans leurs fonctions soit dans la Communauté, lorsqu'ils y seront rappelés;

 

Qu'il fera les frais de leurs voyages, quand on en tirera de France, ou qu'ils y retourneront, et toutes ces choses suivant la taxe qui sera faite par nous et les Successeurs Évêques du dit Pays, pour obvier aux contestations et aux désordres que le manque de règles y pourrait mettre;

 

Et comme il est nécessaire de bâtir plusieurs Églises pour faire le service divin, et pour la commodité des fidèles, nous ordonnons, sans préjudice néanmoins de l'obligation que les peuples de chaque paroisse ont de fournir à la bâtisse des dites Églises, qu'après que le dit Séminaire aura fourni toutes les dépenses annuelles, ce qui pourra rester de son revenu, sera employé à la cons­truction des Églises, en aumônes et en autres bonnes œuvres pour la gloire de Dieu et pour l'utilité de l'Église, selon les ordres de l'Évêque, sans que toutefois, nous ni les successeurs Évêques du dit pays, en puissions jamais appliquer quoique ce soit à nos usages particuliers, nous ôtant même et aux dits Évêques la faculté de pouvoir aliéner aucun fonds du dit Sémi­naire en cas de nécessité, sans l'exprès consentement de quatre personnes du corps du dit Séminaire et clergé, savoir le Supé­rieur, ses deux Assistants et le Procureur.

 

En foi de quoi nous avons signé ces présentes et y avons fait apposer notre sceau.

 

Donné à Paris, le vingt-six mars, mil six cent soixante-et-trois.

 

                                             FRANÇOIS, Évêque de Pétrée.

 

Mandements pp. 44-46


Établissement de la congrégation des filles séculières de Notre Dame à Montréal ( fondées par  Marguerite Bourgeoys), 1676

 

FRANÇOIS, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège, premier Évêque de Québec.

 

A tous fidèles de la Nouvelle-France, Salut en Notre Seigneur.

 

Notre très chère fille Marguerite Bourgeois et les filles qui se sont unies avec elle vivant en communauté dans l'Île de Mont­réal, nous ayant représenté qu'elles se seraient employées gratuitement depuis plusieurs années sous notre bon p1aisir, à faire les fonctions de maîtresses d'école en ladite Île de Montréal et autres lieux, élevant les petites filles dans la crainte de Dieu et l'exercice des vertus chrétiennes, leur apprenant à lire et à écrire, et les autres travaux dont elles sont capables;

 

Qu'en conséquence de notre permission en date du 20 mai 1669, elles auraient obtenu des lettres d'établissement de Sa Majesté en date du mois de mai 1671, vérifiées au Parlement de Paris, registrées au Conseil Souverain de ce pays, et au greffe du Bailliage de la dite Île de Montréal;

 

Qu'elles seraient suffisamment bâties, et qu'elles peuvent subsister des métairies et du revenu qu'elles possèdent et du travail de leurs mains sans être à charge à personne;

 

Qu'elles s'offrent pour faire gratuitement les fonc­tions de maîtresses d'école tant dans l'Île de Montréal qu'aux autres lieux qui seront disposés pour cet effet, et qui pourront fournir à la subsistance et entretien d'une maîtresse d'école, où nous et nos successeurs jugeront nécessaires pour le bien de cette Église;

 

Que pour rendre leur établissement ferme et stable il nous plût l'approuver et confirmer, leur permettant de conti­nuer les dites fonctions de maîtresses d'école, vivant en communauté en qualité de Filles Séculières de la Congrégation de Notre Dame, et dans l'observance des règlements qu'il nous plaira et à nos successeurs leur prescrire.

 

Nous, après avoir mûrement considéré toutes choses et sachant qu'un des plus grands biens que nous puissions procurer à notre Église, et que le moyen le plus efficace pour conserver et augmenter la piété dans les familles chrétiennes, est l'instruction et la bonne éducation des enfants, connaissant d'ailleurs la bénédiction que Notre-Seigneur a donnée jusqu'à présent à la dite Sœur Bourgeois et à ses compagnes dans les dites fonctions des petites écoles, où nous les aurions employées; et voulant favoriser leur zèle et contribuer de tout notre pouvoir à leur pieux dessein;

 

Nous avons agréé et agréons l'établissement de la dite Bourgeois et des filles qui se sont unies avec elle ou qui y seront admises à l'avenir, leur permettant de vivre en communauté en qualité de Filles Sécu1ières de la Congrégation de Notre Darne, observant les règlements que nous leur prescrivons ci-après, et de continuer leurs fonctions de maîtresses d'école tant dans l'Île de Montréal qu'aux autres lieux où nous et nos successeurs jugeront à propos de les envoyer, sans qu'elles puissent néanmoins à l'avenir prétendre de passer à l'état de la vie religieuse, ce qui serait contre nos intentions et la fin que nous nous sommes proposés de subvenir par ce moyen à l'instruction des enfants dans les paroisses de la campagne, conformément aux lettres patentes à elle accordées par Sa Majesté.

 

Donné à Québec sous notre sceau et seing et de notre secrétaire le six d'août mil six cent soixante et seize.

                                                                                          FRANÇOIS, Évêque de Québec.

 

Mandements pp. 99-100


L'abandon à Dieu à travers vents et tempêtes: "Nous n'a­vons qu'à lui être fidèles et le laisser faire."

 

 

Lettre au directeurs du Séminaire de Québec, 18 mars 1687.

 

À Paris, ce 18 mars 1687.

 

M. Dudouyt vous donnera avis de tout ce qui s'est passé de­puis le retour de M. de Saint-Valier, qui ne pourra avoir ses bulles cette année et par conséquent repasser en Canada; et moi, conformément aux sentiments que Notre-Seigneur me fait la mi­séricorde de me continuer, j'y retourne comme au lieu où mon coeur est inséparablement attaché, en sorte que quand je serais assuré de mourir sur la mer, je m'embarquerais pour n'être pas privé au moins de la consolation de mourir dans l'accomplisse­ment du bon plaisir de Notre-Seigneur, dans lequel doit consis­ter notre bonheur pour le temps et l'éternité.

 

Je ne vous remémorerai pas notre bon M. Guyon,  puisque ce bon plaisir en a disposé et nous l'a enlevé. Le 10 de janvier dernier, il a fait une mort fort chrétienne et a reçu en ce passage une protection toute extraordinaire de la sainte Vierge. Si la providence de Dieu me conserve jusqu'à Québec, je vous en di­rai les particularités. Je lui ai administré les derniers sacre­ments et ne l'ai point abandonné jusqu'à la mort, comme il m'en avait bien prié. M. Dudouyt n'a manqué en rien des devoirs de charité qu'il lui devait. Ne manquons pas, je vous en prie, ceux que nous lui devons en l'autre vie. Je l'ai fait avec soin jusqu'ici, et continuerai. Notre-Seigneur nous fait connaître dans cette pri­vation que ses desseins et ses pensées sont bien autres que celles que nous pouvons avoir. Ce sont des conduites de grâce et de miséricorde de nous priver des choses que nous estimons les plus nécessaires. J'en ai fait le sacrifice de bon coeur, et, comme je re­connais bien que l'attache que j'y avais était beaucoup appuyé sur l'humain, j'ai adoré en cela la bonté et la miséricorde de No­tre-Seigneur de me l'avoir voulu ôter. Priez et faites bien prier Dieu pour lui, et le bénissons de nous avoir privés des grands secours qu'il s'était rendu capable de donner à l'église de Canada en toute manière. Dominus dedit, Dominus abstulit; sit nomen Domini benedictum...

 

Je ne vous saurais encore dire déterminément les ecclésiasti­ques que la Providence de Dieu nous donnera pour passer avec nous. Je passerai cependant dans le premier navire tant soit peu commode qui partira, à la réserve de ceux qui portent des soldats, où sans doute je serais trop incommodé. L'on nous écrit de La Rochelle que deux petits vaisseaux, l'un de trente-cinq ton­neaux et l'autre de soixante ou soixante-dix tonneaux, partent dans ce mois-ci. Hors cela l'on ne voit pas de vaisseaux raison­nables qui se disposent plus tôt qu'à l'ordinaire, c'est-à-dire vers la Saint-Jean, à la réserve de celui qu'on nomme la Diligente, dans lequel étaient MM. de Denonville et de Saint-Valier al­lant en Canada, que le Roi a accordé à la Compagnie de la pêche sédentaire de l'Acadie lequel l'on dit qui doit partir à la mi-mai et ne doit demeurer que deux ou trois jours à leur pêche que l'on appelle Cliedabouctou, proche Canceau, dans lequel je m'embar­querai, Si cela est, parce que l'on croit qu'il arrivera plus de six semaines à Québec plus tôt que les autres.

 

[...] M.    Dudouyt vous écrit touchant l'état du temporel, qui est très fâcheux. Et comme Mgr de [Saint-Valier] n'a voulu en au­cune manière entrer en connaissance ni participation des dettes, se disculpant de tout et remettant entièrement l'engagement sur le Séminaire, faisant voir, à ce qu'il se persuade, qu'il n'a plus mis qu'il n'a été cause de dépense, et quoi que nous ayons pu apporter de raisons et de sujets, que je lui aurais pu vérifier par ses lettres et les vôtres, il est demeuré au resté en disant que c est vous autres qui avez voulu la séparation de biens, soit en premier lieu par le partage et destination des fonds et réserves pour chaque jour (?), soit d'une autre dernière manière. Bref il a pris toutes les conclusions et les résolutions pour une sépara­tion de biens, laquelle nous ne lui avons pas témoigné la moin­dre peine, lui taisant assez connaître que l'esprit de grâce ne le fit entrer dans l'esprit de désappropriation et de pauvreté, dans lequel il m'avait paru, mon sentiment n'était pas de le retenir par des raisons humaines. Nous vous dirons tout de vive voix, Si Notre-Seigneur nous fait la miséricorde d'arriver.

 

Cependant vous verrez assez, sans que je vous l'écrive, que l'on ne peut être plus embarrassé que nous le sommes en nous chargeant de la dette de M. de la Chesnaye, qui était tout ce que pouvait devoir le Séminaire, à la réserve de quelques dettes que 1'on aurait pu acquitter à la suite commodément dans le pays. Je croyais que nous fussions entièrement en liberté, et nous voilà retombés dans un état encore plus mauvais qu'auparavant, que d'être acquittés de M. Guenet, auquel on doit encore dix mil1e francs. Je vous avoue que vous avez très mal fait d 'avoir tant de facilité à vous laisser aller à tous les grands projets de dépense de N. de [Saint-Valier], qui dit que vous avez en autant d'ardeur pour vous y porter qu'il en a eu de sa part, outre tous les autres argents qui regardent les biens du Séminaire, aux­quels il dit qu'il n'a aucune part. L'on va tomber dans de grandes extrémités, à moins que la Providence de Dieu n'ait des voies bien extraordinaires pour nous aider, qu'il serait difficile de pré­voir, n'en ayant présentement aucune pour pouvoir sortir de cet abîme de dettes et d'affaires.

 

M'étant trouvé assez incommodé depuis quinze jours de certains éblouissements de tête suivis de faiblesses, je me réduis à vous mander seulement ceci en général, me réservant à vous dire le reste de vive voix...

 

Priez bien Notre-Seigneur et la très sainte Famille, et me croyez en son amour tout à vous,

 

François, évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 397-400


Extraits d'une lettre aux directeurs du Séminaire de Québec, 9 juin 1687. 

 

Adorons les conduites de Dieu sur nous et sur toutes ses oeu­vres, nos très chers Messieurs. J'espérais et j'avais une confiance entière qu'il me donnerait la consolation de m'unir à vous de corps comme je le suis de coeur et d'esprit; mais son aimable pro­vidence en dispose tout autrement et selon son bon plaisir, qui doit être tout notre bonheur et notre paix pour le temps et l'éternité.

 

Vous connaîtrez par les copies des lettres actives et passives que vous trouverez ci-jointes, ce qui n'oblige de rester en France.  Je n'eus pas plus tôt reçu ma sentence que Notre-Seigneur me fit la grâce de me donner les sentiments d'aller devant le Très [Saint-] Sacrement lui faire un sacrifice de tous mes désirs et de ce qui m'est de plus cher en ce inonde. Je commençai en faisant amende honorable à la justice de Dieu, qui me voulait faire la mi­séricorde de reconnaître que c'était par un juste châtiment de mes péchés et infidélités que la Providence me privait de la bénédic­tion de retourner dans un lieu où je l'avais tant offensé, et je lui dis, ce me semble de bon coeur et en esprit d'humiliation, ce que le grand-prêtre Héli dit lorsque Samuel lui déclara de la part de Dieu ce qui lui devait arriver: « Dominus est, quod bonum est in oculis suis faciat ».

 

Mais comme la bonté de Notre-Seigneur ne rejette point un coeur contrit et humilié et que humiliat et sublevat, il me fit connaître que c'était la plus grande grâce qu'il me pouvait faire que de me donner part aux états qu'il a voulu porter en Sa vie et en sa mort pour notre amour, en action de grâces de laquelle je dis un Te Deum avec un coeur rempli de joie et de consolation au fond de l'âme, car pour la partie inférieure, elle est laissée dans l'amertume qu'elle doit porter.

 

C'est une blessure et une plaie qui sera difficile à guérir et qui apparemment durera jusqu'à la mort, à moins qu'il ne plaise à la divine Providence, qui dispose des coeurs comme il lui plaît, apporter quelque changement à l'état des affaires. Ce sera quand il lui plaira et comme il lui plaira, sans que les créa­tures puissent s'y opposer, n'étant en pouvoir de faire que ce qu'elle leur permettra. Il est bien juste cependant que nous de­meurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.

 

[...[ Vous apprendrez par les lettres de M. Dudouyt tout  ce qui s'est passé ici touchant la conduite de M. [de Saint-Valier] depuis son retour. (in margine: Sur l'empêchement que l'on a apporté à mon retour, l'on a allégué, et M. de S[eigneley] me l'a dit à moi-même, qu'il y avait lieu de douter si je vivrais bien avec mon successeur). Il y a tous les sujets d'être persuadé qu'il a sourdement tramé toute cette affaire, quoiqu'il ait fait tout le possible pour faire croire qu'il n'y a point de part ni directement ni indirectement. Il a fait toujours paraître beaucoup de fray­eur que je ne veuille gouverner. Lorsque l'on lui a dit quelle n'a pas commencé ici, en ayant déjà donné des marques en Ca­nada, il a conclu que ne l'ayant fait paraître que dans les con­seils qu'il a tenus avec vous, il fallait que vous en eussiez écrit. Mais il aurait été bien facile de lui faire connaître qu'il s'en est ouvert à bien d'autres; ex abundantia cordis os loquitur. Il est difficile qu'un esprit préoccupé comme il est de cette pen­sée et aussi ardent et impétueux comme il est, s'empêche de faire confidence aux personnes qu'il croit être par politique obligé de gagner et d'avoir à soi. Ce sont des effets d'une conduite humaine qui nous obligent d'avoir bien recours à Dieu, afin qu'il lui donne son esprit. C'est bien sans fondement qu'il a cette crainte. Si la personne qu'il appréhende avait eu ce désir et cette disposition, il n'aurait pas paru en ce qu'il a fait à son égard une conduite toute opposée, nonne manens sibi manebat. Cela nous doit faire voir que quand notre esprit est laissé à lui-même, il se travaille bien inutilement.

 

Il faut mettre toute notre confiance et notre force en Notre-Seigneur, en sa sainte Mère et toute sa sainte Famille. C'est l'oeuvre de Dieu, et nous avons par sa miséricorde cherché uniquement sa gloire en ce que nous avons fait ou, pour mieux dire, en ce que le sentiment des serviteurs de Dieu a fait unanimement. Ainsi j'espère qu'il tirera de cette épreuve le bien de l'Église et qu'il fortifiera de son divin Esprit tous ceux qui auront eu part à ses souffrances.

 

[...] Je ne doute point que l'on ne soit fort surpris dans le pays de voir que je ne repousse point,  M. de Villeray et tous ceux  qui lui étaient en France m'ayant toujours vu dans ce dessein et ce dé­sir et que l'état de ma santé n'en aura pas été cause. Comme l'on a déjà dit ici que c'était par ordre, ainsi que vous connaîtrez par la dernière lettre que j'écris au P. de La Chaise, il y a bien de l'apparence que ce bruit ira jusqu'à La Rochelle et ensuite en Canada. Je n'y dois pas contribuer; l'esprit de Notre-Seigneur nous y oblige parce que l'on ne manquera pas de l'attribuer à N.[de Saint-Valier]. J'ai fait ici ce que nous avons pu pour que l'on croie que c'est par des considérations particulières. Sa­chant qu'ils en sont informés à St-Sulpice, nous avons fait par­ler à M. Tronson, afin qu'il y apporte le remède autant qu'il le jugera nécessaire. Je ne sais pas ce qu'il fera. En tout cas, il faut faire de notre côté ce que l'esprit de grâce demande de nous. Notre-Seigneur tirera sa gloire de tout. Ceux qui ont connu la disposition des esprits en Canada, jugeront aussi de la source et du principe. Le P. Dablon a écrit qu'il était assuré que l'on apporterait de l'opposition à mon retour et qu'il le savait bien. S'il ne vous a pas dit la même chose, ne lui en faites rien paraître, parce qu'il verrait bien que M. Dudouyt vous l'aurait écrit.  Il faut qu'il l'ait su de personnes auxquelles l'on en ait fait con­fidence ou qui aient reconnu par des marques assurées la dis­position des esprits pour cet effet.

 

Quoi qu'il en soit, c'est de la main de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère que nous devons tout recevoir comme une grâce bien spéciale, et je puis dire pour moi la plus grande et la plus précieuse que j'aie encore reçue de ma vie. Priez-les que j'en fasse un saint usage et j'espère néanmoins qu'ils me feront la miséricorde de mourir en Canada, quoique j'aie bien mérité d'être privé de cette consolation. Verumtamen non mea sed Dei voluntas fiat. Je possède sur cela par sa bonté infinie une paix profonde dans le fond de l'âme.

 

Tous ceux qui conservent l'esprit d'union avec le Séminaire seront bien contristés et consternés de ne voir passer aucun ec­clésiastique encore cette année. J'aurais tâché de contribuer à les soutenir et fortifier Si j'avais passé moi-même. Mais il faut bénir Dieu et adorer son aimable conduite. Le bon M. Brûlon espérait bien pour tout délai pouvoir revenir au Séminaire, aussi bien que M. de Caumont; mais il ne faut pas que M. Brûlon s'in­quiète et qu'il se règle et s'appuie sur ses sentiments et son pro­pre jugement; qu'il mette toute confiance en Notre-Seigneur, qui, après nous avoir éprouvés, lui donnera l'accomplissement de ce qu'il désire.

 

[...]  M.  Dudouyt vous écrit l'état du temporel. Il ne peut pas être plus engagé et plus embarrassé qu'il est. M. le Supérieur, voyant l'extrémité où l'on était, sans avoir quoi que ce soit pour acquitter les lettres de change que vous avez envoyées, a prêté huit mille francs que l'on prend d'un remboursement qui s'est fait; sans quoi il aurait fallu sans remède laisser protester les dites lettres de change et souffrir honteusement une espèce de banqueroute. Voilà à quoi on s'est exposé par les grandes dépen­ses auxquelles l'on s'est engagé mal à propos. Ce n'est rien que l'emprunt; la difficulté [est] de pouvoir s'acquitter de cette dette avec celle de M. Guenet, dont il reste encore près huit mille francs argent de France à payer. L'on s'est obligé de rendre celle du Sé­minaire en deux ans, en sorte qu'il faut pendant ces deux an­nées trouver quatre mille cinq cents livres, joignant mille francs que l'on lui doit d'ailleurs aux huit mille francs empruntés. Ce sont près de huit mille cinq cents livres qu'il faut payer en ces deux articles chaque année. Vous pouvez juger de la peine où l'on va être pour trouver cette somme, outre laquelle il faut en­core fournir à la dépense de France, qui n'est pas petite dans le Séminaire pour ceux dont le Canada doit être chargé. Il ne faut pas s'attendre d'être soulagé de quoi que ce soit de la part de M. [de Saint-Valier]. J'ai bien reconnu ses dispositions a ce regard aussitôt qu'il [fût] arrivé en France, quoique quelques considérations humaines l'aient obligé à ne le pas faire paraître tout d'un coup, disant que le partage qui avait été fait avec le Séminaire en lui laissant le revenu qui lui appartient aux abbayes, n'empêcherait pas [que] la communauté de biens ne pût subsis­ter. Mais nous lui fîmes voir le contraire et l'impossibilité de garder ses mesures, et que ce qu'il avait dessein de laisser, n'était pas capable de fournir aux charges dont il prétendait charger le Séminaire, ayant la vue que ce qui proviendra à lui appar­tenant des dites abbayes serait pour le défrayer avec ceux qu'il aurait avec lui dans sa maison, soit pour nourriture soit pour entretien, en sorte que le dessein qu'il a pris est de vivre séparé de tout, comme Si jamais il n'avait eu aucun sentiment ni mou­vement de grâce pour vivre autrement.

    -

Bien loin qu'il ait voulu convenir qu'il ait été la cause  dettes et engagements que l'on a contractés au Séminaire le temps qu'il a été en Canada il s'est efforcé pour faire qu'il y a plus procuré et apporté que la dépense soit d'enfants soit d'ecclésiastiques avec toute leur suite n'a été grande. D'où il conclut que les acquisitions et dépenses au moulin à scie de l'île de Jésus et autres lieux est l'unique cause des dettes et affaires du Séminaire de Québec et a pris cette affaire Si à et avec tant d'ardeur, que l'on peut dire qu'elle a été en partie la raison qu'il a prise pour prétexte et fondement de se désunir tout à fait et même de tout ce qui est arrivé à la suite, que vous apprendrez par tout ce que l'on vous écrit. Vous pouvez bien in­férer de sa disposition que ce n'est pas de son revenu que nous devons attendre de quoi soulager et acquitter les dettes du Sé­minaire, quoique vous nous avez souvent mandé par vos lettres qu'il vous avait assuré qu'il trouverait bien en France de quoi les acquitter et que l'on ne devait point craindre de prendre des enfants et des ecclésiastiques; sur quoi il me souvient de vous avoir répondu qu'il pouvait bien arriver du changement et que cependant le Séminaire demeurerait toujours chargé de dettes; ce qui est arrivé et que, quoiqu'il puisse aider, il n'a aucune disposition pour cet effet.

 

Il faut adorer la Providence de cet éloignement et mettre toute notre confiance et notre appui en elle.

 

Cependant il est d'une nécessité absolue de retrancher de toute manière toutes les occasions de dépenses, afin de pouvoir payer les dettes. Si l'on peut du côté de la France venir à bout d'acquitter les neuf mille francs que nous devons au Séminaire avec le courant de la dépense et la dette de M. Guenet en deux années, ce sera assurément une chose beaucoup au-dessus de nos forces parce que outre cela il est nécessaire d'envoyer des étof­fes et Je reste des besoins qui s'achètent à Paris, sans parler des frais et dépenses des embarquements et du fret de ce que 1'on envoie, et au cas que Notre-Seigneur me fasse la miséricorde de pouvoir retourner, la dépense qu'il faut pour cela et de ceux qui passeraient avec nous, il faut faire état que tout cela joint en­semble se montera bien à quatorze mille francs, et c'est au plus Si nous en pourrons avoir neuf mille. Où prendre le reste? De trouver à emprunter, c'est à quoi il ne faut pas penser, étant une chose impossible, ni de se pouvoir dispenser de rendre au Sémi­naire l'an prochain et la suivante ce qu'ils ont prêté, dont ils auront besoin; sans quoi ils ne l'auraient pas assurément prêté.

 

Je sais bien ce que vous avez de difficultés. J'ai encore tout assez présent pour me les remettre et me mettre en votre place. Mais d'autre part, vous savez ce que c'est que de devoir. Si la providence de Dieu avait permis que j'eusse été au pays, j'aurais pris de plus grandes précautions et sûretés de N. [de Saint-Va­lier], ou l'on n'aurait pas entrepris autant de choses. Il m'était libre et facile de passer la première et seconde année. Le Roi s'é­tait déclaré sur cela. \Mais la considération du bien de l'Église de Canada me fit rester et la condescendance que j'eus la seconde pour ce qu'il (Mgr de Saint-Valier) m'écrivait que les mêmes raisons subsistaient encore, m'engagèrent au même.

 

[...] Nous voilà, par une conduite spéciale de Notre-Seigneur sur moi, à demeurer tant qu'il lui plaira dans le lieu de notre exil que je ne pensais pas à mon départ de Canada venir trouver en France. Tout ce qui vient de sa main nous doit être aimable et adorable.

 

Quoique N. [de Saint-Valier] fasse paraître qu'il est nécessaire de conserver les curés dans la désappropriation, il prend tous les moyens qui sont capables de les rendre tous propriétai­res et semblables à ceux de France. Comme cependant il y en aura plusieurs qui auront de la grâce et qui conserveront les sen­timents dans lesquels ils auront été élevés, il faut aussi conser­ver avec eux le même esprit et union, et faire aux autres tout le bien que l'on pourra dans l'esprit de charité et se disposer a voir tous les changements que la divine Providence permettra qu'il arrive dans l'Église du Canada, de laquelle j'espère que la très sainte Vierge en prendra un soin tout particulier et spé­cialement du Séminaire consacré à la très sainte Famille de Jésus.

 

Pour ce qui concerne l'emploi du Séminaire aux missions des sauvages. nous devons mettre toute notre confiance en No­tre-Seigneur. Pourvu que ceux qui y seront employés soient bien remplis de son esprit, il les aidera et soutiendra dans leurs travaux, et j'espère qu'ils ne manqueront pas du nécessaire pour le temporel. Ceux qui y réussiront avec plus de bénédiction et qu'il y faut consacrer, doivent être des sujets de grâce et qui aient de l'intérieur.

 

 

Altera nova positio pp. 410-416


 

Lettre à Monsieur Milon du Séminaire des Missions Étrangères de Paris, automne 1689.

 

J'ai reçu, mon cher Monsieur, la lettre que vous m'avez fait le grâce de m'écrire; elle m'a donné de la consolation et a beau­coup édifié tous nos Messieurs, auxquels j'en ai fait part. La Providence de Dieu, qui vous inspire de prendre avec tant de bonté part à notre peine et à nos intérêts, nous oblige plus par­ticulièrement de nous abandonner entièrement à son adorable conduite et d'y mettre toute notre confiance.

 

Je ne doute aucunement que Notre-Seigneur ne vous appelle à l'oeuvre des missions et qu'il ne rompe les liens qui pourraient vous arrêter et que l'engagement de la Cour ni des parents ne seront pas capables de prévaloir à la volonté de Dieu. Je le prie de tout mon cœur de fortifier ce désir dans votre cœur.

 

Vous apprendrez que les règlements qui sont venus de France pour apaiser les différends et conserver la paix dans cette pauvre Église, qui en avait fait pendant trente ans toute la bénédiction, n'ont pas eu sur l'esprit de Monseigneur l'effet que l'on en devait attendre et qu'il a formé de nouveaux sujets de peine plus considérables que les premiers. C'est le calice qu'il plaît à No­tre-Seigneur de nous donner à boire et ne se pas décourager.

 

Vous jugerez bien, mon cher Monsieur, que s'il y a eu jamais une croix amère pour moi, c'est celle-ci, puisque c'est l'endroit où j'ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire le renver­sement du Séminaire, que j'ai toujours considéré, comme en ef­fet il l'est, comme l'unique soutien de cette Église et tout le bien qui s'y est fait et qui s'y peut faire à l'avenir et par consé­quent la rupture et ruine totale de l'union que nous avons pris tous les soins imaginables de conserver pendant trente ans.

 

Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abat­tre; Si les hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de No­tre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier. Nous n'a­vons qu'à lui être fidèles et le laisser faire.

 

Continuez, mon cher Monsieur, cette affection pour cette œuvre qui le mérite et qui est digne de compassion. Priez Notre-Seigneur et sa sainte Mère pour lui et pour moi qui suis tout à vous en leur amour.

 

François

 

Altera nova positio pp. 452-453


Extraits d'une lettre à Monsieur de Denonville qui avait été gouverneur de la Nouvelle-France de 1685 à 1689, 20 novembre 1690.

 

L'on a écrit conformément à ce que vous aviez eu la bonté de me mander, et l'on a eu sujet de se persuader que l'on dé­férerait au sentiment des personnes qui ont écrit. Mais on a trouvé le moyen d'éluder; et ainsi cette maison [le Séminaire de Québec], privée de tout secours humain, chargée de vingt et vingt-cinq ecclésiastiques, et présentement jusqu'à trente-quatre, outre toutes les autres charges, est réduite à de grandes extrémités qu'elle porte avec le secours de Notre-Seigneur très patiemment, attendant que la divine Providence y apporte un remède efficace, qui est d'une nécessité absolue et à moins de quoi je prévois un renversement total des esprits, les hommes se gagnant par suavité et par un esprit de grâce et particulièrement les ecclésiastiques, qui souf­frent beaucoup d'ailleurs dans un pays tel que celui-ci.

 

L'on a connu les sentiments de M. le duc de Beauvilliers auxquels on doit déférer; cette maison l'a fait en tout, mais la personne que vous connaissez bien n'a pas manqué de trouver des expédients pour n'en rien faire. Mgr de Québec passe en France.

 

La saison cependant est très rigoureuse pour le froid qui est plus grand que je ne l'ai point encore vu depuis que je suis en Canada. Tout est plein de glace et beaucoup de neige sur la terre; ce qui a fait qu’on a voulu le dissuader de s'embarquer. M. de Frontenac ne s'y est pas épargné pour l'en détourner; mais il passe par-dessus toute sorte de difficultés. M. de Gricour, qui est venu ici il y a un an, repasse en France et aura l'honneur de vous voir.

 

Toute cette maison et moi spécialement avons béni Notre-Sei­gneur et sa sainte Mère de vous avoir fait arriver heureusement en France et de ce que la Providence divine a disposé de vous et vous a mis dans un poste qui est bien important pour la re­ligion et tout le royaume.

 

Nous vous sommes sensiblement obli­gés des sentiments que vous conservez pour nous. Plus il semble que l'on apporte d'opposition à l'union que vous connaissez être si utile et si absolument nécessaire pour le bien de cette Église et du salut des âmes, plus il paraît que la grâce de cette union prend un nouvel accroissement et se fortifie de plus en plus dans le cœur de tous les ecclésiastiques, qui en reconnaissent les avan­tages et la nécessité. 

 

Cependant M. [de St-Valier] n'entreprend ce voyage que dans l'unique vue de la détruire entièrement, se persuadant qu'il ne peut pas rendre un plus grand service à Dieu et à cette Église, et croit qu'il n'y a pas de meilleur moyen pour en venir à bout que de réduire cette maison à la dernière extrémité; ce qui lui a fait dire qu'avant qu'il fût peu, il la mettrait en état de n'avoir pas du pain à manger. Les voies qu'il a tenues cette année y conduisent tout droit et plus on tâche de déférer et d'adoucir son esprit, plus il s'aigrit et se porte à des extrémités plus grandes, sans qu'on puisse s apercevoir quel fon­dement il en peut avoir, sinon que son principe est que pendant qu'il y aura la moindre union et rapport à cette maison, il ne peut avoir l'empire et la domination qu'il exige des ecclésiasti­ques et qu'il se persuade être d'une nécessité absolue à son égard.

Si Dieu permet que les vues qu'ont eues ses amis ne réussissent pas et qu'il revienne en ce pays, il est comme impossible que cette Église ne tombe pas dans un renversement total.

 

[...] Notre-Seigneur et sa sainte Mère en disposeront conte il leur plaira. J'ai une grande confiance qu'ils continueront à protéger cette pauvre Église que vous connaissez bien remplie de son esprit. Je ne doute point que vous n'ayez la charité et la bonté de lui rendre tous les bons offices que vous pourrez selon les ouvertures que la Provi­dence de Dieu vous en fournira et les besoins pressants qu'elle en a.

 

Accordez-nous le secours de vos prières à cet effet et soyez persuadé qu'il n'y a personne qui vous honore plus que moi et qui soit plus véritablement en l'amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

 

                  François, ancien évêque de Québec.

 

 

Altera nova positio pp. 453-455


Extrait d'une lettre à Monsieur de Denonville, 16 avril 1691

 

De Saint-Joachim au Cap-Tourmente, ce 16 avril 1691.

 

Depuis, Monsieur, que je me suis donné l'honneur de vous écrire par la frégate qui partit au commencement de décembre de Québec, nous n'avons point eu d'ennemis au dehors, sinon depuis le commencement de ce mois que l'on craint une armée d'Iroquois.

 

Il y a plus de deux mois que je me suis retiré ici pour n'être pas présent à ce qui se passe de la part de ceux qui se déclarent au dedans et font beaucoup souffrir cette pauvre Église.

 

N. , [Mgr de Saint-Valier] qui avait pris la résolution de passer en France l'automne dernier, a différé jusqu'à ce printemps, qu’elle prend l'occasion de deux vaisseaux qui ont hiverné à Québec. Elle a fait signifier au Supérieur du Séminaire par deux notaires un écrit (que l'on envoie à M. l'abbé de Brisacier) avec sommation d'y répondre par les mêmes notaires. L'on n'a pas néanmoins jugé à propos au Séminaire (pour suivre le conseil de France, qu'il avait reçu de la part des personnes que vous connaissez) d'y répondre que par un mot de lettre respectueux que l'on lui a écrit, renvoyant le tout à M. l'abbé de Brisacier qui doit répon­dre à tout pour le Séminaire.

 

[...] Depuis que Dieu a permis que nous ayons été privés du bon­heur que le pays avait de vous posséder et que N. (Mgr de Saint-Valier) a eu une personne qu'elle pouvait gagner par des voies et des moyens qui ne lui auraient pas réussi à votre égard, qui ne sont que trop préjudiciables à cette Église, elle a fait éclater d'une manière tout à fait scandaleuse les différends qu'elle dit avoir avec le Séminaire, touchant même par l'écrit qu'elle a fait signifier, que ce soit avec moi conjointement avec le dit Sémi­naire, quoique je ne sache aucunement ce qu'il veut entendre, ayant évité soigneusement toutes les occasions d'avoir les moin­dres démêlés avec elle, sinon qu'elle me retient de son autorité près de neuf cents francs qu'elle sait que j'ai avancés par le moyen du Séminaire en choses nécessaires pour le rétablissement de l'église de Ste-Anne, auquel vous pouvez vous souvenir que je m'étais engagé par les instantes prières qu'il m'en fit, ayant tous les deniers que l'on avait amassés depuis plusieurs années en­tre ses mains.

 

N. (Mgr de Saint-Valier) prend le prétexte de ces différends pour son voyage de France, qu'il dit être forcé de faire après avoir tenté toute sorte de moyens pour les régler sans y avoir pu réussir, quoique néanmoins il soit très véritable qu'il n'en a parlé en quelque manière que ce puisse être depuis votre départ, retenant et retranchant de son autorité privée tout ce qui ap­partient au Séminaire et dont il pouvait subsister, n'ayant pas même voulu se tenir à tout ce qui a été réglé en France par les personnes qui vous sont connues. Ne s'étant pas contenté de prendre l'an passé les quatre mille francs que l'on avait réglé qu'il laisserait au Séminaire, attendant que la chose fût termi­née en France lorsqu'elle y serait présente, il prend encore sur quatre mille francs de cette année prochaine et laisse secrète­ment des billets pour les suppléments des curés, attribuant à chacun selon que bon lui semble, comme si c'était son propre disposant, du reste comme s'il lui appartenait. Elle a dit l'an passé qu'elle voulait se récompenser des pertes qu'elle avait fai­tes et des dépenses qu'elle était obligée de faire. Autant que l'on peut juger (quoiqu'elle n'en communique rien à personne), l'on a sujet de croire qu'il lui en est resté entre les mains chaque an­née plus de deux mille francs, n'ayant rien donné à Messieurs du Séminaire du Montréal depuis deux ans pour les suppléments des cures qu'ils desservent, qui se montent chaque année à huit cents francs, disant qu'ils ont été ingrats des bienfaits qu'ils ont reçus d'elle; [in nota: ce qui fait que beaucoup de lieux pour lesquels il y a des suppléments marqués, demeurent abandonnés, voulant que des ecclésiastiques entreprennent beaucoup au delà de leurs forces, lesquels ruinent leur santé en deux ou trois ans. M. Dubos, par l'obéissance que vous savez qu'on lui fit rendre à N. (Mgr de Saint-Valier), a été réduit à manger de la viande en tout temps et à demeurer un... (?) d'infirmerie pour le reste de sa vie. M. Boucher, qui n'est prêtre que depuis deux ans, que N. (Mgr de Saint-Valier) avait mis à la côte de Lauzon, pour avoir, par les conseils qu'on lui en a donnés pour le bien de la paix, entrepris la première année au-dessus de ses forces que N. (Mgr de Saint-Valier) exigea de lui, de desservir jusqu'à La Durantaye en desservant dans l'étendue qu'il y a, est demeuré depuis six mois comme perclus pour avoir passé des eaux froi­des ou des glaces. Il est actuellement dans les remèdes au Sémi­naire à l'infirmerie et il y a fort sujet de croire qu'il n'en n'ait pour sa vie.

 

N. (Mgr de Saint-Valier) paraît bien éloigné de la disposition de demeurer en France et se fait un point d'honneur de re­venir après être venu à bout de tout ce qu'il prétend, dont il se flatte et s'ouvre à tout le monde au dehors, et que jusqu'à pré­sent il n'a pas été évêque. Ce serait trop long à vous expliquer ce qu'il entend par ces termes.

 

M. l'abbé de Brisacier, qui sera informé de tout, aura l'honneur de vous voir et de vous le com­muniquer, et M. de Gricour, ecclésiastique, qui repasse en France, qui a été témoin oculaire et qui en a lui-même expérimenté une partie, vous le dira de vive voix.

 

N. (Mgr de Saint-Valier) est dans la résolution de faire sem­blant de vouloir traiter et faire régler toutes les choses à 1'amiable, mais il n'a pas pu s'empêcher par chaleur de faire paraître le dessein qu'il a de se pourvoir secrètement à la Cour et en apporter des ordres pour l'exécution de tout ce qu'il prétend. Ce qui paraît manifestement par l'écrit qu'il a fait signifier où il marque qu'il va en France pour faire régler les différends qu'il prétend avoir, par qui il appartiendra. Si Notre-Seigneur per­met qu'il réussisse dans tous ses desseins, l'on peut dire assurément que cette pauvre Église est ruinée de fond en comble et qu'il n'y a pas sujet de croire que les ecclésiastiques de France veuillent et puissent y demeurer et porter la conduite de N. (Mgr de Saint-Valier), laquelle ne paraît aucunement animée de l'esprit de Notre-Seigneur, n'ayant rien qui ne soit très dur pour les ecclésiastiques. Il n'y a que Dieu qui puisse détourner ce malheur. Ce sera un plus grand miracle que tout ce que Dieu a fait jusqu’à présent pour la conservation toute miraculeuse de ce pays. Quoique ce soit le sujet le plus capable du monde de me causer une sensible douleur, Notre-Seigneur néanmoins par sa miséricorde me fait la grâce de jouir d'une grande paix inté­rieure de cœur et d'esprit, ayant une entière confiance avec le secours de sa très sainte Mère et des saints Anges et saints Pro­tecteurs de cette Église, qu'il fera tout réussir pour sa gloire. Comme je sais qu'il vous a donné une grande tendresse et affec­tion pour ce pays, je vous conjure, Monsieur, de lui offrir tous les besoins de cette Église, qui sont pressants et venus à une extrémité bien fâcheuse.

 

Ayez, je vous supplie, la bonté et charité de me donner quel­que part en vos prières, dont j'ai plus de besoin que jamais, y ayant bien de l'apparence que la fin de mes jours est bien proche. Je suis attaqué depuis deux ans d'éblouissements accompagnés de maux de cœur qui sont très fréquents et augmentent notable­ment. J’en ai eu tout récemment un ici, le lundi de la Passion, qui me prit à trois heures du matin et me dura jusqu'à neuf heu­res du soir, sans pouvoir lever la tête du lit.

 

Je suis avec un véritable respect, Monsieur,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur.

 

François

 

Altera nova positio pp. 472-476


Extraits d'une lettre à Monsieur de Brisacier, 17 avril 1691

 

A St-Joachim au Cap-Tourmente, ce 17 avril 1691.

 

Je vous écris celle-ci de ce lieu où je me suis retiré pour avoir un peu de solitude et pour me consoler avec Notre-Sei­gneur de l'état où je vois cette pauvre Église, qui est affligeant et duquel je serais inconsolable si Notre-Seigneur et sa sainte Mère ne me donnaient une grande confiance qu'ils en auront compassion et qu'ils la secoureront dans son extrême besoin.

 

Quoique je fasse tout mon possible, me retirant de temps en temps pour diminuer l'ombrage et la peine que je fais à. N. (Mgr de Saint-Valier), comme il me sait et connaît entièrement opposé de sentiment à la conduite qu'il tient tant envers le Sé­minaire que les autres ecclésiastiques, je ne puis guérir son mal, qui augmente à proportion de ce qu'il reconnaît qu'il ne réussit pas autant qu'il le désire dans le dessein et la fin qu'il se pro­pose et qui paraît qu'il a à cœur par-dessus toute chose de dé­truire jusqu'au fondement l'union de grâce qu'il a plu à No­tre-Seigneur d'établir et conserver depuis tant d'années dans cette pauvre Église, en quoi elle a toujours fait consister tout son bonheur.

 

N. (Mgr de Saint-Valier) se déclare ouvertement que c'est le sujet unique qui l'oblige de faire son voyage de France et pré­tend remuer ciel et terre pour y réussir. L'on peut ajouter que dans la malignité de ce dessein, que la passion et 1'aveuglement lui cachent, le monde et l'enfer y auront bonne part et se trouveront unis pour y correspondre. Il a fait toute son étude prin­cipale et n'omet aucun soin ni application jour et nuit pour en venir à bout. Tous les moyens pour cet effet lui sont bons, mais celui par-dessus tout qu'il croit et duquel il s'est toujours servi comme le plus efficace, est de réduire le Séminaire à ne pouvoir subsister et à n’avoir pas, comme il l'a dit souvent, du pain à manger.

 

Si Dieu lui permettait de continuer son entreprise, il viendrait sans doute à bout de sa fin. Il l'a déjà réduit à une grande extrémité et n'était que l'on a pris la résolution de tout souffrir dans l'espérance d'un prompt remède, il n'y aurait pas eu moyen de s'abstenir d'éclater. [...]

 

Comme il a vu qu'il n'avait plus l'obstacle de M. de Denon­ville qui le retenait et l'empêchait par une prudence et conduite vraiment chrétiennes d'entreprendre tout ce qu'il a fait depuis, il n'y a rien qu'il n'ait accordé à M. de Frontenac et aux Récollets pour les gagner à lui. Il leur a donné toute sorte de libertés dans leur chapelle de la haute-ville de Québec, et ils prennent leurs mesures pour y bâtir l'an prochain une église et un cou­vent entier et lui font croire qu'ils abandonneront leur couvent qui est proche de Québec pour y établir un hôpital-général.

 

 

Mais il n'y a personne qui ne voie clairement qu'ils n'ont aucune volonté de le faire, mais seulement de se servir de ce moyen pour venir à bout du dessein qu'ils ont de s'établir à Québec et au Montréal. A quoi N. (Mgr de Saint-Valier) leur fait espérer qu'il travaillera en France conjointement avec eux et M. de Frontenac. L'on dit tous les jours une messe publique à onze heures où M. de Frontenac ne manque point d'aller avec tout le monde. N. (Mgr de Saint-Valier) lui a accordé cette messe et ne lui refuse quoi que ce soit de ce qu'il lui a demandé, quoique au préjudice des droits de l'Église, jusqu'à lui faire adresser la parole, lorsque N. (Mgr de Saint-Valier) est absent ou n'est point au sermon, par les prédicateurs.

 

Lorsque j'arrivai de France, les Jésuites qui prêchaient s'offrirent de me l'adresser en 1'ab­sence de N. (Mgr de Saint-Valier) n'étant point venu, me disant que lorsque l'évêque n'était point au sermon et qu'il y avait un prince, l'on la lui devait adresser et à plus forte raison à un évê­que, comme prince de l'Église. Mais je ne le voulus pas souffrir et l'ordre de l'Église aussi bien que les ordonnances sont formels pour ne les pas [adresser] aux gouverneurs. Mais N. (Mgr de Saint-Valier), ayant dessein de dresser toute sorte de batteries contre le Séminaire, il croit qu'une des principales pour y réus­sir est celle de gagner les puissances et les Récollets, qu'il croit et connaît capables d'entrer aveuglément à toutes ses vues et af­fidés à toutes les volontés de M. de Frontenac, un des meilleurs moyens dont il puisse se servir en France. Il fait passer avec lui pour cet effet le P. Commissaire des dits Récollets avec un autre.

 

Mais Notre-Seigneur et sa sainte Mère, qui prennent un soin tout extraordinaire de ce pauvre pays, ne permettront pas que la prudence purement humaine et du monde prévalent à la vérité et à l'esprit et conduite de Notre-Seigneur, qui a pro­mis de détruire la sagesse et prudence des sages et prudents de ce monde. C'est en cela que nous établissons et fondons tout notre appui et notre force.

 

Quoique M. l'Intendant connaisse parfaitement bien N. (Mgr de Saint-Valier), cependant nonobstant tout ce qu'il m'en a té­moigné par les ouvertures qu'il m'en a faites plusieurs fois, il y a sujet de craindre qu'il ne l'oblige à faire et à dire des choses d'une manière dont il puisse tirer avantage, même d'en écrire en France, n'ayant personne qui soutienne son esprit comme faisait M. [de] Denonville, et craignant extraordinairement que N.            (Mgr de Saint-Valier) et M. de Frontenac parlent ou écri­vent contre lui en France. Ne soyez pas surpris s'il paraît en quelque manière que ce soit favoriser N. (Mgr de Saint-Valier), quoiqu'il m'ait parlé souvent, avec bien de la confiance de la con­duite de l'un et de l'autre. Je n'ai pas cru lui devoir parler de la même manière et j'ai toujours, aussi bien que le Séminaire, en­tretenu au dehors avec lui correspondance, dont il a toujours té­moigné être satisfait. Mais ce que 1'on peut dire à son égard est que la politique et la prudence humaine est le principe qui a le plus de part à toute sa conduite.[...]

 

Altera nova positio pp. 476-

Et N. (Mgr de Saint-Valier) use de tant d'adresse et de déguisement que les personnes les mieux intentionnées s'y laissent surprendre et gagner insensi­blement. Il a dit à plusieurs qu'il se faisait fort de vous gagner et de vous engager à tout ce qu['il] prétend par ses manières or­dinaires. Il est vrai qu'il se sert de tant de flatteries, de caresses, d'honnêtetés et de promesses, que l'on s'y laisse tromper.

478

 


Lettre à Mgr de Saint-Valier 1696

 

Puisque vous voulez, Monseigneur, que je vous dise mes sen­timents au sujet de votre retour, il me paraît que la divine Pro­vidence est l'unique cause de votre retardement et je crois que vous ne devez pas être surpris que le Roi étant pleinement in­formé de toutes les brouilleries et divisions qui ont continué jusqu'à présent entre vous et votre clergé, il vous ait fait déclarer l'ordre duquel vous avez pris la peine de m'écrire.

 

Vous me priez de vous dire en quoi vous pouvez avoir con­tristé votre clergé et que vous croyez qu'il n'y a personne plus capable que moi de vous faire connaître les moyens que vous auriez à prendre pour consoler ceux que vous avez affligés con­tre vos intentions.

 

Vous savez que je suis très peu éclairé et que j'ai un juste sujet de me persuader que ce que je pourrai avoir à vous dire sur une affaire de cette nature, aura très peu d'effet, et je me crois d'autant plus incapable de vous donner aucune lumière que j'ai reconnu par une longue expérience le grand éloignement que vous avez toujours en d'en recevoir aucune de ma part, jusqu'à m'avoir témoigné plusieurs fois, comme vous le savez, que j'aurais dû me conformer au désir que vous aviez que je me retirasse dans un lieu éloigné d'ici, sans néanmoins vous en avoir donné aucun sujet, sinon que je ne pouvais sou­vent convenir des principes qui font toute la règle de votre conduite.

 

Cette considération, outre plusieurs autres, m'aurait dû obliger à garder le silence. Cependant, Monseigneur, comme vous me priez d'écrire pour demander et obtenir votre retour, je crois être obligé devant Dieu de vous parler avec toute la liberté et la confiance que doit une personne qui a des obligations très particulières de vous honorer, qui est près, étant à l'âge de soixante-quinze ans, de paraître au jugement de Dieu et qui n’a uniquement en vue que les intérêts d'une Église qui vous doit être et à moi également chère. Agréez donc, Monseigneur, que je vous ouvre mon cœur. Je le fais avec la sincérité et la sim­plicité que je suis obligé, sans vous rien dissimuler de la vérité.

 

Faites, je vous conjure, avec moi une sérieuse réflexion sur tout ce qui s'est passé depuis que je me suis démis de la conduite de cette Église en votre faveur, sur l'état dans lequel vous 1’avez trouvée, la paix et 1'union dont elle jouissait, sur tous les biens que le Séminaire des Missions étrangères y faisait, lesquels vous ne saviez assez admirer, ce qui vous obligeait de dire en toute sorte d'occasions que votre plus grande peine était de trouver une Église où il ne vous paraissait plus rien à faire pour exercer votre zèle. Vous avez reconnu et publié si fréquem­ment que le dit Séminaire était le lien de cette grande union qui avait existé dans cette Église.

 

Faites, Monseigneur, d'autre part, une semblable réflexion sur le grand changement que 1'on y peut présentement remarquer et d'où il est provenu. N'a-t-il pas paru, au grand scandale de tout le peuple et au préjudice du salut des âmes, que votre principal dessein a été de détruire tout ce que vous avez trouvé de si bien établi et toute votre application à chercher tous les moyens possibles pour ruiner entièrement le Séminaire, que vous avez re­connu pour l'âme de cette Église naissante, n'ayant rien épargné pour le réduire dans l'extrême pauvreté et lui ôtant tout ce qui dépendait de vous et l'empêchant de recevoir ce qui lui appar­tenait et en beaucoup d'autres manières dont j'ai été témoin avec une douleur extrême, que Notre-Seigneur m'a fait la grâce de porter avec conformité à sa sainte volonté.

 

Que n'avez-vous pas fait pour éloigner les Supérieur et Directeurs qui en ont la con­duite et tous ceux que vous avez cru qui étaient capables de le soutenir. Vous leur avez ôté, autant que votre pouvoir s'est étendu, toutes leurs fonctions spirituelles, et non content de les exclure entièrement de la conduite des maisons religieuses, dont ils avaient eu le soin depuis vingt ans et dont ils s'étaient acquittés avec beaucoup de grâce et de bénédiction, pour en même temps donner cet emploi à des ecclésiastiques que vous ne pouviez pas ignorer être de très mauvaise vie, vous les avez encore pri­vés de la part qu'ils avaient au gouvernement de l'Église, pour le confier à des personnes éloignées de la cathédrale et à de jeu­nes gens, à qui leur âge ne pouvait encore donner aucune expé­rience nécessaire pour s'acquitter de leur emploi.

 

Les mêmes Supérieur et Directeurs du Séminaire possédant les premières dignités du Chapitre, vous avez pris occasion d'y former les plus grandes brouilleries qui soient arrivées en cette Église et vous les avez interdits sans aucun fondement, au grand scandale de tout le peuple, pendant un an entier, avec des marques d'une igno­minie tout extraordinaire, jusqu'à les déclarer être la cause de faire blasphémer et d'être incapables de faire aucun bien en cette Église.

 

Quels efforts n'avez-vous pas faits ensuite pour les faire chasser du pays et repasser en France, ne trouvant pas de moyen plus souverain pour détruire en même temps le Séminaire et le Chapitre, ce que vous avez poursuivi avec tant de force que l'on a été obligé d'en empêcher l'exécution par un ordre du Roi.

 

Je ne doute point, Monseigneur, que vous n'ayez de très bonnes intentions et je sais que vous avez fait paraître à l'extérieur avoir pris de fortes résolutions de rétablir toutes choses dans leur premier état. Mais en vérité il ne se trouve aucun rapport de la conduite que vous tenez à ces résolutions, et elle fait as­sez connaître que vous ne changez aucunement de maximes et de principes. Peut-il même y avoir la moindre apparence de se persuader que vous ayez ces sentiments dans le cœur. Quelle conformité pourrait avoir cette disposition avec les menaces que vous avez donné ordre à MM. Dollier et de Montigny de faire de votre part à tous ceux qui sont la cause de votre réten­tion en France, de leur faire ressentir toute la force et le poids de 1’autorité épiscopale, s'ils ne procurent efficacement votre re­tour.

 

Je vous conjure, Monseigneur, de me permettre de vous dire ce que vous savez beaucoup mieux que moi, qu'il semble que l'on doit attendre du cœur et de la bouche d'un évêque, qui est père, des sentiments bien différents et opposés à ces menaces, et qu'il serait bien plus efficace par imitation de l'esprit de Notre-Seigneur de leur faire ressentir la force de sa douceur et de son humilité, plus capable incomparablement de gagner à soi les cœurs que les menaces, qui est la voie ordinaire de laquelle se servent les puissances séculières dans leur gouvernement tem­porel.

 

Il est bien facile de juger de cette conduite l'éloignement que vous avez de rétablir l'union et la paix dans cette Église, sans laquelle néanmoins il est impossible qu'elle puisse subsis­ter. L'on y voit au contraire présentement deux partis qui s'y sont élevés par toutes ces divisions et se fortifient avec aliénation des esprits; ceux qui font profession d'être attachés à vos inté­rêts, se trouvant dans la nécessité pour obtenir quelque grâce [de] votre part de s'éloigner du Séminaire, et quelques-uns même se dé­clarer contre vous en voyant si fort aliéné et sachant que vous ne permettez à aucun ecclésiastique de s'y associer. Mais ce qui me touche le plus sensiblement est de ne voir aucun remède à tant de maux et si pressants, n'étant pas possible d'espérer de chan­gement dont l'expérience du passé nous est une preuve très con­vaincante.

 

Tout ce que je puis et je dois dans cette extrémité est d'avoir recours à la bonté et miséricorde de Notre-Seigneur, à la protection de sa très sainte Mère. Mais je vous avoue ingénuement que je ne dois ni ne puis en conscience correspondre à la prière que vous me faites dans votre lettre de demander et procurer votre retour; et je suis bien persuadé du contraire qu'il n'y a point de serviteur de Dieu en France, auquel si on expose dans  la pure vérité‚ l'état de cette Église, qui ne fût de sentiment qu'il vous serait bien plus glorieux devant Dieu et devant les hommes d'imiter le grand saint Grégoire de Nazianze et plusieurs autres grands prélats qui se sont démis du gouvernement de leurs Églises pour y rétablir la paix et l'union; que si vous trouvez des personnes qui soient de sentiment contraire, ils vous flattent assurément ou ils ne vous connaissent pas. Il est vrai, Monseigneur, que je vous ouvre mon coeur trop librement, mais l'amour et la fidélité  que je dois avoir pour une Église qui a été ci-devant confiée à mes soins, m'y obligent, nonobstant toutes les considérations humaines qui pourraient m'engager à garder le silence. Je vous conjure de n 'être pas moins persuadé du respect sincère et véritable avec lequel je suis, Monseigneur,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur et confrère,

 

François, ancien évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 548-552


 

La solidarité, la fraternité et le soutien mutuel dans le ministère pastoral

 

Extraits d'une lettre au Directeurs du Séminaire de Québec, 1685

Puisque l'on juge que l'on doit continuer dès l'été prochain les travaux de l'église de Québec, afin que la Cour voie que l'on emploie l'argent qu'elle donne à cet effet, la première chose qu'il est nécessaire que l'on fasse est d'achever la seconde tour, qui a été conduite seulement de dix-huit pieds de haut, contenue dans le marché du sieur Renaud, qui est obligé d'achever la première conformément à son marché...

 

Comme M. Morel devait faire encore quelques quêtes pour le rétablissement de l'église de Sainte-Anne et que je me per­suade aisément qu'il aura encore amassé quelque chose pour join­dre au reste du fonds tant de ce qu'il m'a baillé que de ce qui est entre les mains des Boulanger, qui se monte bien à cinq cents francs, au cas que l'on envoyât six maçons, il en faudrait ac­commoder Sainte-Anne de deux et commencer au moins l'été de l'année 1686, à moins que les navires de cette année n'arrivas­sent de si bonne saison que l'on pût commencer dès cette année; ce qui aurait un bon effet et exciterait les peuples à continuer leurs charités pour le rétablissement d'une église où tout le pays a une si grande dévotion.

 

Il est très important et d'une grande conséquence de conser­ver les droits de juridiction que les bulles d'érection de l'évêché de Québec en titre donne à l'évêque du dit Québec sur toutes les nations qui étaient actuellement sous l'obéissance du Roi et cel­les qu'il réduirait à l'avenir, pourvu qu'elles ne soient d'aucun autre évêché, réservant au Roi de mettre des bornes au dit évê­ché de Québec, qui doivent être approuvées par le Pape, et par­tant à moins que l'on n'établisse un autre évêché dans les na­tions qui sont et seront sous la domination du Roi par la décou­verte qu'en feront nos Français et les communications que nous pouvons y avoir par Québec, l'on ne peut point en ôter la ju­ridiction à l'évêque de Québec et aucun missionnaire n'y peut travailler à la conversion des infidèles que sous la dépendance du dit évêque. C'est pourquoi il faut en maintenir le droit ici par mémoire que l'on présentera au Roi, et M. l'abbé de Saint­-Valier doit en écrire au Roi par le retour des vaisseaux et lui faire connaître les mauvaises suites et divisions qui s'en­suivraient.

 

M.[de) Denonville a promis à M. l'abbé de Saint-Valier de destiner tel nombre de congés qu'il jugera à propos pour le sou­lagement des pauvres. Ceux qui sont répandus dans les côtes sont les plus dignes de compassion et d'être assistés à cause de la grande misère où le manque de hardes et de couvertures les réduit, et l'impuissance dans laquelle ils sont d'en avoir, chargés de grand nombre d'enfants, qui sont obligés par nécessité de coucher sans distinction de sexe et avec père et mère sous une même couverte. Si M. [de] Denonville tient sa parole, il fau­dra distribuer les congés par parcelles cinquante francs dix vingt écus plus ou moins, et en faire part à chacun suivant la pauvreté où ils sont réduits. Cela soulagera beaucoup le Sémi­naire, tenant lieu de ce qu'il serait obligé de donner tous les ans. Il  faut avoir soin de nous mander ce qu'il aura fait, afin que l'an prochain l'on prenne des mesures selon le moyen que l'on aura, au cas que les pauvres ne fussent pas soulagés par cette voie.

 

Il a été réglé à la Cour que les Récollets n'auront qu'un frère demeurant dans la maison de Québec; à quoi il faut veiller avec soin, parce qu'il est bien difficile qu'ils se puissent réduire à ne rien entreprendre de nouveau et d'y faire demeurer quelque prê­tre sous quelque prétexte d’infirmité habituelle, afin de pouvoir dire qu'ils ont quelque possession; ce qui est sujet à de grandes suites.

 

La Cour a réglé qu'ils ne s'établiront point au Montréal; ce qui les a fort mortifiés et qui est un grand bien. A bien plus forte raison faut-il souffrir qu'ils aient aucun établissement aux Trois-Rivières, au fort de Cataracouï, à l'île Percée et autres lieux qu'ils pourraient projeter, mais qu'ils n'aillent et ne demeurent en toute sorte d'endroits universellement que par voie de mission, qu'il leur faut donner par écrit pour le temps que l'évêque le jugera à propos. L'on ne doit point les laisser aller hors une ou deux [lieues] de Québec sans qu'ils en aient donné avis à l'évêque ou ses grands-vicaires, et qu'ils n'exercent point de fonction, hors de dire la messe, sans qu'ils aient l'agrément de celui qui a soin du lieu, qui les doit par nécessité instruire des désordres et de ceux qui donnent du scandale, à moins de quoi il arrive presque infailliblement qu'ayant des considérations purement humaines et de leur intérêt, ils reçoivent aux sacrements les plus scandaleux, s'excusant sur ce qu'ils ignoraient la chose, quoiqu'ils la sachent très bien, etc.

 

La subsistance des ecclésiastiques qui desservent les cures de Canada est la charge la plus onéreuse que le Séminaire puisse avoir, si la Cour désistait de donner autant du moins qu'elle a donné cette année. Cependant il est de la dernière conséquence de ne pas abandonner les curés; le Séminaire ne le peut ni ne le doit, tant à raison du bien spirituel des curés, qui ne se sou­tient que par l'union qu'ils ont avec le Séminaire, qu’a cause du bien général de toute 1'Église et de plus de tous les peu­ples, qui tomberaient dans une étrange désolation, si les dits curés n'étaient unis et dépendants du dit Séminaire. Il est donc né­cessaire que M. l'abbé de Saint-Valier écrive dès cette année à la Cour qu'il a déjà reconnu le peu de valeur des dîmes, les fa­tigues excessives que les curés ont à souffrir pour administrer les cures, bref qu'en attendant qu'il ait pu se transporter lui ­même dans tous les lieux au printemps, qu'il prie le Roi d'ac­corder le même secours de quatre mille livres, sans lequel il ne pourrait pas soutenir les dits curés et missionnaires, y en ayant une grande partie des dites cures qui ne peuvent être desservies que par voie de mission.

 

Il sera nécessaire de conférer et examiner si l'on doit, les vingt ans étant passés, qui sera en 1687, proposer à la Cour de mettre la dîme à la treizième suivant les lettres d'établissement de l'évêque et des patentes du Roi données à ce sujet en l'an­née 16[63]. Il y a du pour et du contre; il est à craindre que si l'on prend cette voie, la Cour ne retire entièrement le secours des quatre mille livres et qu'elle ne veuille plus rien donner pour les cures, tant celles qui peuvent être sédentaires et fixes que pour celles qui ne peuvent être administrées que par voie de mis­sion, fondée sur ce que les dîmes augmentant de moitié, il doit y avoir suffisamment pour la subsistance des curés du provenu des dites dîmes. Et cependant il est assuré qu'avec cette augmen­tation, l'on ne pourrait pas les faire subsister, à la réserve de quelques-unes. Les raisons en sont connues au Séminaire, qui a l'expérience et sait les difficultés. D'autre part l'on a toujours reconnu qu'il est très important pour conserver les ecclésiastiques dans l'esprit de Notre-Seigneur, qu'ils reçoivent tous leurs be­soins du Séminaire de Québec, afin qu'ayant ce rapport, ils y demeurent toujours unis. Et si tout le revenu des cures consis­tait en blé et qu'il n'y eût pas une partie en argent, il serait comme impossible au Séminaire de pourvoir à la subsistance des curés, d'autant que la plupart du temps l'on n'en a point de débit dans le pays, et que le Séminaire d'ailleurs en retirera des fermes et autres domaines qu'il aura, sans parler des dîmes qu'il recevra des curés qui se conserveront dans l'union du Sé­minaire, beaucoup plus qu'il n'en pourra consumer pour son usage...

 

Nous avons conféré souvent du lieu et des moyens que l'on pourrait choisir pour une mission sédentaire de sauvages. Il semble que la Providence de Dieu ayant disposé l'Église en sorte que l'on aura des sujets suffisamment pour y appliquer et un peu plus de fonds, il serait très nécessaire d'entreprendre cette nature de mission, qui engage à moins de dépense que les éloi­gnées, lesquelles il me paraît aussi d'une absolue nécessité de commencer, afin de former des sujets pour la langue, à l'étude et pratique de laquelle il faut employer du temps avant que d'être capable de travailler utilement auprès des sauvages. J'ai trouvé, toutes les fois que j’ai pensé au lieu que l'on pourrait désigner pour la mission sédentaire, les mêmes inconvénients que nous avons prévus qui pourraient arriver, si l'on l'établissait dans les terres qui sont proches du Cap de Tourmente. Cepen­dant c'est le lieu qui paraît le plus commode pour maintenir les missionnaires qui y seraient employés, dans l'esprit de grâce...

 

Il serait aisé de faire en sorte que M. de Denonville fît une pareille défense pour l'eau-de-vie que M. de Frontenac a faite et que le Roi a confirmée pour les sauvages de la mission du Sault, auxquels il est défendu aux Français de porter de bois­son...

 

M. Durfé passe aussi avec M. l'abbé de Saint-Valier à dessein de demeurer au Séminaire de Québec. Je ne sais pas à quel em­ploi l'on pourrait le destiner. Je n'en vois guère qui lui soient propres en Canada. Vous y penserez tous ensemble et résou­drez ce qui lui sera plus convenable tant que la Providence 1'ar­rêtera au Séminaire, dont je lui ai dit l'esprit, duquel il y a sujet de douter qu'il s'accommode au regard du détachement, qui est l'essentiel néanmoins et en quoi consiste l'esprit de grâce qui soutient le Séminaire, lequel s'il ne goûte pas, il est à souhaiter qu'il n'y fasse pas une longue demeure et qu'il retourne à celui de Montréal, comme il a témoigné qu'il pourrait faire, si le Sé­minaire de Québec ne l'accommodait pas. Il a voulu savoir une fois de moi combien il était à propos qu'il y payât de pension. Je lui fit réponse que l'on n'en payait point dans le Séminaire, que l'on y portait ce qu'on avait et que ceux qui n'avaient rien y étaient aussi bien reçus que ceux qui avaient du bien. Abiit tristis. Je n'ai pas sujet d'être persuadé qu'il goûte cette con­duite. Notre-Seigneur en disposera comme il lui plaira. Il faut prier la sainte Famille qu'elle ne permette pas que ceux qui ne seront pas animés de cet esprit, demeurent dans une maison qui lui est dévouée et consacrée si particulièrement...

 

Il se présente assez de sujets médiocres, mais il est rare d'en trouver qui aient ce que l'on appelle de bonnes qualités soit en grâce soit en talents naturels et qui soient capables de remplir les fonctions dont l'on a besoin dans le Séminaire de Québec, et propres pour être de l'union et prendre part à la conduite et gouvernement du Séminaire. Tous ceux qui ont du bien tem­porel ou des qualités de grâce et de nature un peu considérables, prennent les vues des missions du Levant et envisagent le Ca­nada comme un lieu où il y a peu de bien à faire parmi les sau­vages, où le seul emploi du Séminaire est de s'occuper simplement aux Français, pour lequel presque aucun ne ressent d’at­trait du moins en Canada. J'ai néanmoins un sujet dans le Sé­minaire en vue et que nous tâcherons de tourner pour le Canada, qui a bien de la grâce, du jugement et de la conduite et qui se­rait d'une trempe d'esprit telle qu'il nous faudrait pour se lier entièrement à cette œuvre. Il faut avoir recours à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère et leur demander qu'ils disposent son cœur. Il nous témoigne assez d'affection et d'agrément.

 

Un bon garçon, nommé Thomas, qui est de Montmorency, cordonnier de son métier, passe aussi pour le Séminaire de Qué­bec. Il était depuis sept ou huit mois dans la maison à aider à la cuisine. Il avait déjà, avant mon arrivée, témoigné son désir à M. Dudouyt. Il n'a pas grand génie. Il paraît néanmoins sa­voir bien son métier. Ce que j'appréhende en ce garçon, est qu'il n’ait pas l'esprit assez constant et assidu à s'appliquer à son travail depuis le matin jusqu'au soir et d'un bout de l'année à l'autre. Nous n'avons pas pu avoir de l'expérience sur cela. Mais la seconde chose est qu'ayant été élevé et aidé du frère Jean Osmond, nommé M. de la Croix, il n'eût pris quelqu'une de ses maximes pour l'oraison mentale ou plutôt une inaction véritable. Je dis cela sur quelque sorte de fondement, parce que l'observant un peu, je remarquai qu'il avait été une fois plus de trois heures continues devant le Saint-Sacrement. Ce qui me donna occasion en m'aidant à me coucher, de lui demander, ne faisant semblant de le savoir, où il avait été pendant tout ce temps. Il me fit réponse qu'il était devant le Saint-Sacrement, et l'avant questionné de ce qu'il y faisait et que cette applica­tion était capable de lui casser la tête, outre que ce n’était pas ce que Dieu demandait de lui, il me dit qu'il ne s'appliquait point et que quand il y demeurerait plus longtemps, qu'il ne se ferait aucun mal à la tête. J'ai dit à M. Dudouyt ma crainte à l'égard de ce garçon, lequel, s'il se figurait des états chimériques, il dé­roberait à son travail du temps pour contenter sa fantaisie. A quoi il m'a répondu qu'il n'a jamais fait cela étant à la cuisine, dont il n'y a pas lieu de s’étonner, parce qu'il était veillé et pressé. Cependant on vous l'envoie. Veillez à son travail. Il m'a dit qu'étant dans une communauté de filles à Saint-Germain, il faisait tous les jours trois souliers, et il convient qu'un homme qui s'emploie en doit faire autant...

 

M. l'abbé de Saint-Valier ne sachant pas comme les choses se passent en Canada, s'est figuré qu'il aurait besoin d'une per­sonne qui l'accompagnât pour écrire, et avait jeté les yeux sur le dit Digoy; mais je lui ai dit que les choses n'allaient pas comme il pensait et que les ecclésiastiques qui iraient avec lui s'acquit­teraient de cette fonction, et d'ailleurs s'il est jugé qu'il ait les qualités requises pour la procure, ce serait bien dommage de l'en détourner et de ne le pas former à un emploi si nécessaire au Séminaire. Ma pensée est que, quand il y sera employé, qu'il demeure tout au plus clerc avec la soutane, comme M. Ranvier, sans être promu aux ordres sacrés suivant la vue qu'on avait eue sur M. Valet, lequel, à moins qu'il n'y ait un grand changement dans son humeur, il est à propos de renvoyer en France, et je puis même juger que quelque changement qu'il y parût, il serait peu propre à administrer une cure, ayant le fond du génie fort rustique, grossier et dégoûtant; ce qui ne s'ajuste pas aux fonc­tions ecclésiastiques, dans lesquelles l'on est obligé incessamment de converser et agir avec le prochain, enfants ou adultes. Lui ayant donné la soutane et admis au réfectoire, je ne vois guère d'autre moyen de s'en défaire que de le renvoyer en France…

 

Nous avons souvent parlé, M. Dudouyt et moi, de la nature et usage que l'on doit fixer la nourriture et entretien de ceux qui feront état de se donner au Séminaire, et avons trouvé beaucoup de difficulté à ce que l'on les (i. e. les frères donnés du Séminaire) réduisît toute leur vie à ne boire que de l'eau; et quoique la chose ne soit pas si rude, comme les personnes se le persuadent, cependant, eu égard à tout le reste du pays, ils se regarderont quelquefois, dans des tentations et bouleversements, comme malheureux d'être privés de toute sorte de douceurs et particu­lièrement de celle de boire du vin ou au moins de la bière. Sur lequel sujet de murmure et de plainte de la nature, lequel n'est pas nouveau, l'on peut dire que la mission du Canada étant soutenue de la France et y ayant tout son rapport et sa cor­respondance, à ce malheur qu'à moins que la même manière de vie, nourriture et entretien n'y soit gardée, l'on n'est point satisfait, et quoique les choses soient incomparablement plus chères qu'en France, l'on n'y [a] aucun égard. Ce qui rend le soutien du Séminaire de Québec bien plus difficile et de plus grande dépense que n'est pas celui de Siam. Je me suis entre­tenu à fond plusieurs fois avec M. Vachet qui avait amené ici des mandarins qui sont des espèces d'ambassadeurs du roi de Siam, de la conduite et manière de vie, nourriture et entretien du Séminaire de Siam, et, entre autres choses, il m'a dit que dans le réfectoire les ecclésiastiques, séminaristes et domestiques ne boivent autre chose au monde que de l'eau; et lui demandant si c'était que l'on n'y portât point du tout de vin, il m'a répondu que l'on y en porte, mais qu'il vaut un écu et quatre francs quel­quefois le pot et n'y est pas plus cher; ce qui fait que l'on n'en donne au réfectoire qu'aux grandes fêtes. Le reste du temps, ils ont une certaine liqueur dans le pays, qui n’est pas bien chère, dont chaque ecclésiastique a une bouteille à sa chambre pour en boire quelquefois, qui soutient plus que de l'eau. Voilà l'usage qu'ils observent pour la boisson et se portent néanmoins très bien en ce pays, quoiqu'il m'ait dit qu'ils ont beaucoup plus de peine à s'abstenir de vin et d'eau-de-vie qu'en France et dans tous les pays froids, parce que dans les grandes chaleurs les pores sont tellement ouverts, que dans les travaux de leurs missions et même dans le moindre exercice qu'ils font dans le Séminaire, ils se trouvent souvent sans force ni vigueur. Je lui ai dit que nous étions de pauvres gens et missionnaires en Canada, qu’à moins que nous ne fussions nourris à l'instar de la France, nous ne croyons pouvoir subsister. Mais à leur manière de boisson, il est aisé de voir que si nous étions réduits comme eux, nous subsisterions en aussi bonne santé comme eux et nous aurions possible plus la grâce de la pauvreté évangélique. Mais après cette di­gression pour revenir à parler de bière, tout bien examiné, le Séminaire ayant sa provision et son ordinaire réglés de vin, comme chacun sait, il est bien difficile de réduire des donnés à boire de l'eau toute leur vie.

 

Ainsi nous jugeons qu'il faut encore bien peser et examiner si l’on ne doit pas établir une brasserie pour rendre leur condi­tion plus douce et tolérable que celle d'être réduits à l'eau, en leur donnant de la bière médiocre, possible même à la suite pour­ra-t-on faire que ceux qui passeront en Canada pour ecclésias­tiques, se pourront accoutumer à la bière. Je ne vois qu'il leur fût bien difficile, parce que la plupart des sujets que l'on choisit ici, ont été élevés dans de pauvres petites communautés, où ils vivent presque de rien, et dans une grande pauvreté, n'ayant pas même de quoi avoir du pain, se passent bien à boire de l'eau et se portent très bien.

 

Nous aidons actuellement plusieurs pauvres garçons qui achè­vent leurs études, qui ont bien de la grâce et de l'esprit et seront de fort bons sujets pour les fonctions ordinaires.

 

Il était de grande importance de ne pas différer à faire voir le droit de la juridiction de l'évêché de Québec et de travailler à se maintenir dans la possession. J’ai envisagé cette affaire de telle conséquence, que je l'ai jugée, comme je vous le dis, lors­que l'on me proposa le voyage de France, seule capable de me le faire entreprendre et il semble que Notre-Seigneur me donnait un pressentiment de tout ce que nous voyons qui serait arrivé et qui était déjà bien avancé. Aussitôt que je fus arrivé à Paris, je ne perdis aucun moment pour en écrire à Rome à M. Pallu, lequel en ayant parlé à M. le Cardinal d'Estrée, il le trouva fort ferme sur cette affaire pour maintenir le droit des Récollets, et lui dit que c’était lui qui avait été chargé de leurs requêtes et mémoires et qui leur avait obtenu leurs pouvoirs. Il dit à mon dit Sieur Pallu et depuis à M. Lefebvre, qui est présentement à Rome en sa place, qu'il paraissait fort extraordinaire que l'évêque de Québec voulût étendre sa juridiction à huit cents lieues et trouva étrange que l'on envoyât des vicaires apostoliques. Et comme l'on lui avait envoyé un mémoire des raisons que 1'évêque de Québec avait d'empêcher que l'on n'entreprît sur sa juridic­tion et que si l'on avait besoin de vicaires, c'était à lui de les envoyer jusqu'à ce qu'il eût un autre évêché établi, mon dit Sieur le Cardinal d'Estrée, quasi comme parti, fit réponse au dit mémoire et envoya au Roi la réponse, disant qu'il avait cru être obligé d'en user de la manière qu'il avait fait, et M. l'abbé de Saint-Valier lui ayant écrit aussitôt qu'il fut nommé, il lui a fait la même réponse, dont il lui a envoyé autant, lui témoi­gnant qu'il souhaiterait que M. l'abbé de Saint-Valier fût mul­tiplié et qu'il pût être en même temps à Québec et à huit cents lieues, qu'il avait envoyé le mémoire de l'évêque de Québec d'un côté et les raisons contre de l'autre part. Ce qui obligea d'en par­ler au Roi, lequel M. l'abbé de Saint-Valier trouva fort informé et prévenu par le mémoire et les lettres du dit Cardinal et en­core plus par les soins du Ministre, qui avait une forte passion de maintenir l'entreprise du dessein du Sieur de la Salle comme son ouvrage. C'est ce que l'on a reconnu depuis. Cependant nous avons fortement répondu aux réponses envoyées par le dit Car­dinal d'Estrée. Ce qu'ayant montré au P. de La Chaise, il a entrepris cette affaire de la bonne manière et en a entretenu le Roi à fond. Ce qui a été cause que M. l'abbé de Saint-Valier en ayant parlé une seconde fois au Roi, il lui dit qu'il vît M. l'Archevêque et le P. de La Chaise et qu'il les chargeât de ses mé­moires pour lui en faire le rapport; ce qu'il fit; lesquels, ayant pris jour s'assemblèrent, où l'on se trouva présent, et tous deux ensemble ayant vu les clauses de nos bulles, où le droit de 1'évê­que est si positivement établi dans tous les lieux qui sont et se­ront ci-après mis sous la domination du Roi, non sujets à la juridiction de quelque autre évêché, et que les bornes du dit évêché de Québec seront désignées par le Roi et approuvées du Saint-Siège, ils n'eurent aucune peine de conclure que Rome n'avait aucun droit et qu'il fallait laisser les choses comme elles ont été, sous 1'autorité et gouvernement de l'évêque de Québec. Cependant comme le Ministre apprit que la chose se décidait de la manière apparemment contre son attente, est venu à la traverse et représenté au Roi que cette nouvelle colonie préten­due serait ruinée, si l'on la soumettait à la juridiction de l'évêché de Québec, qu’il fallait encore examiner cette affaire. Ce qui a fait que le Roi a dit qu'il fallait que M. de Seigneley fût pré­sent à une autre assemblée qui se ferait de M. l'Archevêque de Paris et du P. de La Chaise, lequel est tout 1'appui en cette af­faire.

 

M. l'Archevêque mollissant aussitôt qu'il voit le Ministre d'un sentiment, cette assemblée, où la chose se doit discuter une dernière fois, se fera jeudi prochain le dix de mai. Cependant comme l'on a été obligé de voir M. de Seigneley sur cela, et de lui bailler autant de tous les mémoires, après avoir fait beaucoup de difficultés sur cette affaire et que c'était ruiner et détruire entièrement cette colonie, il a néanmoins molli et a dit qu'il fal­lait donc que l'évêque de Québec eût un grand-vicaire établi à Paris. A quoi l'on lui a répondu que l'on n'y trouvait aucune difficulté et qu'il verrait dans les mémoires que l'on s'offrait à cela. L'on vous enverra autant des mémoires qui sont très forts et bien faits. Ceux qui ont été faits à Rome le sont malicieusement et sans bonne foi, contiennent beaucoup de faussetés, mais faits avec esprit. M. l'abbé de Saint-Valier était de sentiment d'attendre à son retour de parler de cette affaire, mais j'ai cru qu'il ne fallait pas perdre un moment et il est facile de voir que si les choses se fussent affermies, outre les changements et révolutions perpétuelles qui arrivent, il aurait [été] très diffi­cile d'y remédier. Le P. de La Chaise a été de ce sentiment et Notre-Seigneur et sa sainte Mère y ont donné bénédiction. Ce sera une paix établie pour toujours en cette nouvelle Église, soit qu'il s'établisse ou non un nouvel évêché à la suite; et on conviendra pour lors des conditions en ce qui regardera la juri­diction...

 

Altera nova positio pp. 588-598


 

Écrits d'amitié spirituelle

Lettre au Père Eudes pour appuyer et recommander son livre "Le Coeur admirable de la Très Sacrée Mère de Dieu", 23 décembre 1662.

Le Saint-Esprit ayant publié par les divines Écritures et par la bouche des saints Pères les excellences du Sacré Cœur de sa très digne Épouse, la bienheureuse Vierge, et ayant par ce moyen puissamment exhorté tous les fidèles à une dévotion et vénéra­tion singulières vers ce même Cœur, ce livre, qui est fait pour allumer et enflammer de plus en plus cette dévotion du divin Cœur avec celle du saint Nom de Marie dans les cœurs de ceux qui le liront, n'a pas besoin d'approbation, puisqu'il est conforme aux desseins et intentions de l'Esprit de Dieu.

Aussi notre pré­tention n'est pas tant de l'approuver en écrivant ceci, comme de donner un témoignage de l'estime très particulière que nous en avons conçue après l'avoir lu soigneusement, et du désir que nous avons que la dévotion qu'il enseigne soit profondément gra­vée dans les cœurs des Chrétiens, que le très aimable Cœur de la Mère de Dieu, qui est tout embrasé d'amour vers sa divine Majesté et de charité au regard de tous les hommes, et son très auguste Nom soient loués et honorés par tout le monde.

Et que les fêtes avec les offices et messes contenus en ce livre en soient célébrées avec une solennité et piété qui leur soient convenables. Ce sont les sentiments que nous avons de ce livre, lequel par conséquent nous jugeons très digne d'être donné au public.

En foi de quoi, Nous avons bien voulu donner ce témoignage écrit de notre propre main et scellé du sceau de nos armes. A Paris, ce vingt-troisième jour de décembre mil six cent soixante-deux.

François, évêque de Québec

Altera nova positio p. 877


Lettre à Monsieur Poitevin, prêtre, 8 novembre 1668.

 

Monsieur.

 

Le zèle que Notre-Seigneur vous a donné pour cette Église naissante, qu'il lui a plu confier à notre conduite, et les soins que vous continuez de prendre avec tant de charité pour tout ce qui peut contribuer a son accroissement, m'obligent à vous faire part, à mon ordinaire, de l'état auquel elle se trouve pré­sentement.

 

Le secours des ecclésiastiques que vous nous avez envoyés par les premiers vaisseaux, nous est verni fort à propos pour nous donner le moyen d'assister divers lieux de cette co­lonie qui en ont un notable besoin et sans lesquels ils auraient été destitués de tout secours.

 

La venue de M. l'abbé de Queylus avec plusieurs bons ou­vriers tirés du Séminaire de Saint-Sulpice ne nous a pas moins apporté de consolation; nous les avons tous embrassés in visce­ribus Christi. Ce qui nous donne une joie plus sensible est la bé­nédiction de voir notre clergé dans une sainte disposition de travailler d'un coeur et d'un même esprit à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes tant des Français que des sauvages.

 

Les tendresses de père que le Roi fait paraître pour la Nou­velle-France et les dépenses notables qu'il fait pour la rendre nombreuse et florissante, fourn[issent] à tous une fort ample moisson pour employer dignement leur zèle et consumer leur vie pour l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui leur a, par sa bonté infinie, donné les premières inspirations de la lui venir consacrer dans une Église sur laquelle il a dès son berceau versé ses plus tendres bénédictions et dont il continue de la combler incessamment.

 

L'humiliation dans laquelle sont présentement nos ennemis (gli Irochesi) ne nous a pas seulement ouvert la porte à la conversion des infidèles dans les nations les plus éloignées, mais encore les a rendus eux-mêmes capables de prendre part à ce bonheur.

 

Les Pères Jésuites s'y emploient toujours avec le même zèle qu'ils y ont travaillé depuis quarante ans; j'en ai reçu des témoignages sensibles après le retour de nos visites, dans celle que nous avons faite ce printemps à Tadoussac, trente lieues au dehors de Québec, ayant trouvé les sauvages de cette mission dans des dispositions telles que depuis qu'il a plu à Notre-Sei­gneur de nous donner la conduite de ce Christianisme, je ne sache rien qui m'ait donné plus de consolation.

 

Nous y avons reconnu quelle bénédiction ce peut être à ces nouveaux Chrétiens de se trouver hors des occasions des boissons enivrantes, lesquelles, à raison de la faiblesse qu'ils y ont, causent des excès de désordre parmi eux, qui nous font souvent gémir devant Dieu et déplorer le malheur de ceux qui en sont la cause.

 

Cette Église de Tadous­sac, exempte de ce mal, est dans une piété vraiment solide et chré­tienne. Nous avons donné la confirmation à cent quarante-neuf, très bien disposés à recevoir les effets de ce sacrement.

 

Si Notre-Seigneur me donne autant de santé l'an prochain que j'en ai ce printemps, j'espère encore y retourner; car je vous avoue que s'ils ont témoigné de la joie de nous y voir, nous n'en avons pas moins ressenti de notre côté en cette visite.

 

J'ai donné mission depuis un mois à deux très vertueux et bons ouvriers pour aller dans une nation iroquoise, qui s'est éta­blie depuis quelques années assez proche de nous du côté du nord du grand lac nommé Ontario, dont la communication ne nous est pas difficile. L'un est M. de Fénelon, duquel le nom est assez connu dans Paris et l'autre M. Trouvé. Nous n'avons pu encore savoir le succès de leur emploi, mais nous avons tout sujet d'en espérer un très grand fruit.

 

Comme le Roi m'a témoigné qu'il souhaitait que l'on tâchât d'élever à la manière de vie des Français les petits enfants sau­vages pour les policer peu à peu, j'ai formé exprès un séminaire où j'en ai pris un nombre à ce dessein. Et pour mieux y réussir, j'ai été obligé d'y joindre des petits Français, desquels les sau­vages apprendront plus aisément et les moeurs et la langue en vivant avec eux.

 

Cette entreprise n'est pas sans difficulté, tant du côté des enfants que de celui des pères et des mères, lesquels ont un amour extraordinaire pour leurs enfants, à la séparation desquels ils ne peuvent presque se résoudre, ou s'ils la souffrent, il y aura une peine tout à fait grande qu'elle soit pour beaucoup de temps, a raison que pour l'ordinaire les familles des sauvages ne sont pas peuplées de beaucoup d'enfants comme celles de nos Français où dans la plupart en ce pays ils se trouvent huit, dix, douze et quelquefois jusqu'à quinze et seize enfants, les sauvages au contraire n'en ont pour la plupart que deux ou trois et rarement ils passent le nombre de quatre; ce qui fait qu'ils se reposent sur leurs enfants, lorsqu'ils sont un peu avancés en âge, pour l'entretien de leur famille, qu'ils ne peuvent avoir que par la chasse et d'autres travaux dont les pères et les mères ne sont plus capables, lorsque leurs enfants sont en âge et en pouvoir de les secourir; à quoi pour lors, il semble que la loi naturelle oblige indispensablement les enfants. Cependant nous n'épargne­rons rien de ce qui sera de nos soins pour faire réussir cette heureuse entreprise, quoique le succès nous en paraisse fort douteux.

 

Les prêtres de notre Séminaire des Missions étrangères ne nous ayant pas moins fait paraître de soin et de vigilance dans l'éducation des enfants de ce pays, que nous leur avons donnés à former à l'état ecclésiastique, qu'ils nous ont donné des mar­ques de leur zèle dans les travaux qu'il y a à souffrir dans tous les lieux des habitations de ce pays où nous les employons, nous avons estimé ne pouvoir rien faire qui soit plus à la gloire de Dieu et pour le bien de notre Église, que de leur confier de nou­veau la direction de ce second Séminaire; d'autant plus que nous avons jugé à propos de le renfermer dans l'enceinte de notre Sé­minaire, dans laquelle nous avons fait accommoder un logement propre à ce dessein. Il y a déjà, grâces à Dieu, pris ses premiers commencements depuis un mois.

 

Je supplie Notre-Seigneur, au nom de la très sainte Famille, en l'honneur et sous la protection de laquelle notre Séminaire est établi, d'y vouloir donner  le succès et la bénédiction que nous nous en promettons.

 

Voilà succintement ce que je puis avoir pour le présent à vous dire de ce qui regarde notre spirituel. Souvenez-vous, je vous conjure, de recommander à Notre-Seigneur au saint autel les besoins de notre troupeau et d'implorer sa divine miséricorde pour celui qu'il lui a plu en établir le pasteur.

 

Et me croyez avec vérité, Monsieur,

 

Votre très humble et obéissant serviteur,

 

François, évêque de Pétrée, premier évêque de la Nouvelle-France nommé par le Roi.

 

À Québec, ce 8 novembre 1668.

 

Altera nova positio pp. 248-251

 


Lettre au Père Eudes  pour accuser réception du livre le "Coeur admirable de la Sainte Vierge" que l'on venait de rééditer, . Il s'agit d'un encouragement donné au P. Eudes pour la promotion de la dévotion au Coeur de Marie, 12 novembre 1682.

 

J'ai reçu le livre que vous m'avez envoyé, du Coeur de la très Sainte Vierge comme une marque de votre affection.  C'est un présent qui m'est fort agréable, tant à raison du sujet qui y est traité que de la personne qui l'a composé, dont nous honorons la mémoire.  J'espère que ce Coeur admirable, dont le propre est d'unir en soi tous les coeurs, sera le lien des nôtres d'une manière particulière, et notre Séminaire n'aura pas de plus grande joie que de se voir uni à votre Congrégation, qui est toute à Jésus et Marie que nous faisons profession d'honorer sous le titre de la Ste Famille, à qui nous avons dédié notre Séminaire.  Et comme ne vertu de cette union, vous participerez à tout le bien qui s'y fait, nous attendons de votre Congrégation la même grâce, que vous n'oublierez pas de prier pour cette Église naissante qu'il a plu à Notre-Seigneur de nous confier, afin qu'elle aille toujours croissant jusque dans sa perfection. [...]

 

ASQ 7, n. 78c

 

Extrait des Annales de la Congrégation de Jésus et Marie dite des Eudistes, Année 1682 conservé aux Archives du Séminaire de Québec.


Lettre d'appréciation d'un livre sur la « Défense des nouveaux Chrétiens et des Missionnaires de la Chine et du Japon » par le P. Le Tellier,  jésuite, 25 octobre 1687.

 

Approbation de Mgr Messire François de Laval, premier évêque de Québec.

 

Il est du devoir et du zèle de ceux que Dieu a établis pour pasteurs dans son Église, d'arrêter autant qu'il est en eux les scandales qui s'y élèvent.

 

J'estime que c'en était un très grand que l'on voulût rendre suspectes la foi et la piété des Chrétiens nouvellement convertis dans les pays étrangers, que l'on décriât la conduite des hommes apostoliques qui leur vont annoncer l'É­vangile et que l'on fournît en même temps par là aux ennemis de la religion catholique de quoi contester à l'Église la posses­sion où elle a toujours été du vrai zèle et du soin de convertir les peuples et de les faire passer de l'idolâtrie à la connaissance et au culte du vrai Dieu.

 

Les deux livres, dont le titre est marqué à la tête de celui-ci, produisaient ces méchants effets. C'est ce qui m'a fait prendre avec joie l'occasion que la divine Provi­dence m'a offerte d'ajouter ici à toutes les preuves que l'auteur de cette défense apporte pour mettre la vérité en évidence, le témoignage particulier que je puis rendre de la pureté de la Foi qu'ont embrassée et que conservent par la miséricorde de Dieu les nouveaux Chrétiens du Canada, et de la vie vraiment aposto­lique qu'ont menée les missionnaires qui travaillent parmi eux, ainsi que je l'ai reconnu certainement par une expérience de vingt-huit années, durant lesquelles il a plu à Dieu de me char­ger, nonobstant mon indignité, du soin de cette Église naissante, où je me suis appliqué à connaître assez à fond toutes les choses qui se sont passées tant de la part des peuples sauvages qui ont reçu l'Évangile, que de la part de ceux qui le leur ont porté.

 

Je puis assurer en particulier à l'égard des Jésuites, qui y tra­vaillent avec zèle et bénédiction depuis longtemps, que j’ai été témoin de la sagesse, de la droiture, du désintéressement et de la sainteté de leur conduite dans ces missions.

 

Il y a lieu de croire qu'ils agissent partout ailleurs par le même esprit; car c'est ce que prétendent (quoique avec malignité) leurs adversaires, quand ils répètent si souvent que par la conduite des particuliers il faut juger de l'esprit qui anime tout le corps.

 

J'ajoute enfin qu'un des souhaits les plus utiles que je crois pouvoir former pour l'É­glise du Canada, c'est que Dieu lui choisisse par sa bonté dans la Compagnie de Jésus un très grand nombre d'ouvriers semblables à ceux que cette Compagnie lui a déjà fournis, et qui ont travaillé avec tant de grâce et de fruit.

 

J'ai lu attentivement cet ouvrage qui porte pour titre: Défense des nouveaux Chrétiens et des Missionnaires, et je n'y ai rien trouvé qui ne mérite d'être mis au jour et qui ne soit très propre à réparer le mal que les mauvais livres qu'il combat ont causé dans l'É­glise.

 

Fait à Paris, le 25 d'octobre 1687.

 

François, premier évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 600-601


Extraits d'une lettre à M. Dudouyt, procureur du Séminaire de Québec à la Cour, sur un projet de fusion entre le Séminaire de Saint-Sulpice de Montréal et le Séminaire de Québec

Québec, ce 12 novembre 1689.

Puisque la barque que l'on a envoyée en France ce printemps est arrivée, vous aurez su l'accident d'une chute très dangereuse qui m'était arrivée, de laquelle je gardais encore le lit quand je vous écrivis. J'en suis demeuré fort incommodé du bras gauche; à quoi est survenu un autre accident qui m'a retenu cinq mois sans exercice, étant arrêté par le pied et la jambe. Vous le con­naîtrez par diverses lettres où il en parle plus au long et ce ne serait qu'une répétition que de vous le réitérer. Notre-Seigneur  et sa sainte Mère en disposeront comme il leur plaira.

Je ressens bien que mes forces s'affaiblissent beaucoup; à l'âge de soixante ans passés, nous ne pouvons pas attendre autre chose que l'accroissement de nos infirmités...

M. Poitevin était un bon serviteur de Dieu. Ce que j'estime plus en sa mort et qui est une marque de l'esprit de Notre-Seigneur, est le bon usage qu'il a fait de tout ce qu'il possédait. C'est une grâce bien particulière de Dieu, puisque sa Provi­dence a voulu lui inspirer de vous résigner son prieuré de Châ­teau Portien. Nous avons sujet de l'en bénir de la manière dont vous me parlez. Il serait bien difficile de le pouvoir réunir au Séminaire, [ce] qui serait un bien, s'il en donnait les moyens et les ouvertures. Notre-Seigneur et sa sainte Mère en disposeront comme il leur plaira.

Puisque ce que vous m'écrivez qui regarde Saint-Sulpice n’a pas été exécuté suivant les vues que l'on avait eues, il faut se conformer aux desseins de Dieu, qui fait tout pour le mieux.

Nous conservons toujours une grande union avec le Sémi­naire de Montréal, rempli de bons et vertueux ecclésiastiques. Nous avons cette année donné l'ordre de prêtrise à M. de Belmont.

Ce que vous avez fait au regard de Saint-Sulpice et des ou­vertures que vous y avez faites, seront utiles et feront (sic) du bien sur les esprits. Je crois qu'il ne faut pas pousser la chose plus avant. Dieu en tirera sa gloire.

Je bénis Notre-Seigneur et sa sainte Mère de ce que le Sé­minaire de Paris reprend plus en plus son premier esprit. C'est une chose bien nécessaire et importante pour le bien et avancement de celui de Québec. Ils feront très bien d'en bannir les abbés mondains, ce qui lui a fait un grand tort par le passé. C'est une bonne chose que vous y demeuriez; cela fortifiera l'union qui doit être entre les deux Séminaires et donnera plus de facilités pour beaucoup de choses qui concernent l'établisse­ment de celui-ci, temporelles et spirituelles.

François, évêque de Québec

Altera nova positio pp. 372-374


Lettre au Nonce apostolique auprès du Roi de France, François Nerli, 1673

 

J'avais prié ce matin M. Castel de vouloir recevoir trois mille livres qui sont mille écus et de les remettre ensuite entre les mains de qui vous auriez agréable. Il a été ce matin pour avoir honneur de vous voir, mais il ne vous a pas rencontré. Il a té­moigné à M. votre auditeur que je n'ai que mille écus c'est-à­-dire trois mille francs de notre monnaie de France. C'est ce que j'ai toujours compris ne sachant pas même la différence de la valeur de monnaie lorsque M. Castel me l'a fait connaître aujour­d'hui.

 

Je vous prie, Monseigneur, si l'on faisait quelque difficulté en cour de Rome sur ce point, de vouloir employer votre autorité et crédit afin que je puisse avoir l'expédition de mes bulles pour cette somme, n'ayant rien à espérer de la cour de France dans les conjonctures fâcheuses de la guerre.

 

J'ai été obligé d'emprun­ter cette somme de deux personnes, ce qui est à vrai dire, eu égard à l'état de mes affaires et des grandes charges que j'ai à por­ter pour le soutien de mon Église, faire l'impossible et au-dessus de mes forces; mais je suis bien aise d'avoir cette consolation de n'avoir rien omis de ma part pour me donner le moyen de retour­ner ce printemps-ci à mon Église, qui souffre de mon absence et si longue. J'espère de votre bonté que vous écrirez si fortement à Sa Sainteté, à Mgr le Cardinal Altieri et à Messeigneurs les Cardinaux de la Congrégation Consistoriale qu'ils accorderont cette grâce à cette somme pour toute chose.

 

Du moins je puis assu­rer que c'est tout l'effort que je puis faire et duquel même je demeurerai incommodé à la suite. Que si absolument l'on exige une plus grande somme, vous pourriez avoir la bonté de donner l'ou­verture de la prendre sur les fonds que la Sacré Congrégation de la Propagation a entre les mains et que vous m'avez fait la grâce de me proposer pour commencer quelque établissement qui puisse servir de subsistance aux ecclésiastiques qui feront les fonctions de chanoines dans mon église de Québec; pour laquelle affaire je vous supplie de vouloir continuer vos soins auprès de Messeigneurs de la Congrégation de la Propagation de la Foi.

 

Il y a seulement à observer qu'il est beaucoup plus à la gloire de Dieu et plus utile pour l'état de l'Église du Canada que 1'évê­que puisse changer et disposer de ses ecclésiastiques dans les dites fonctions, ainsi qu'il le jugera à propos et nécessaire pour le bien de son Église ainsi que Sa Sainteté me l'a déjà accordé par un bref pour les fonctions curiales, pour raison du besoin que l'évê­que aura toujours de missionnaires et d'ouvriers qui soient amo­vibles ad nutum et d'en envoyer à la place de ceux que l'on ju­gerait plus propres pour des fonctions plus sédentaires.

 

Je prends bien de la liberté, mais je connais votre bonté et votre zèle pour les oeuvres de piété. Vous aurez part en celui-ci aux bénédictions d'une Église naissante et je serai toujours avec bien du respect, Monseigneur,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

 

François, évêque de Pétrée.

 

À Paris, ce 12 jeudi après-midi 1673.

 

Altera nova positio pp. 129-131

 


Lettre au Duc de Beauvilliers, automne 1689.

 

Monsieur.

 

Je ne puis, quoique je sache les grandes et continuelles occupations que vous avez pour le bien de l'État, me dispenser de vous témoigner ma reconnaissance de toutes les bontés que vous continuez de faire paraître pour cette Église, en particulier pou le Séminaire, qui vous en rend avec moi ses très humbles action de grâces. Je puis vous assurer qu'il a reçu avec respect et sou mission les articles que vous avez bien voulu prendre la peine de régler. S'ils étaient bien observés de part et d'autre ce serai le véritable moyen de conserver la paix dans cette Église. M. l'abbé de Brisacier vous informera de tout aussi bien que M. le marquis de Denonville, qui a une parfaite connaissance de ces affaires. Le Séminaire s'est entièrement remis à son jugement tant de l'exécution de ce qui s'est réglé que pour ce qui reste régler. \mais ayant trouvé de l'opposition, il a jugé plus à propos que la chose se décide en France. Toute cette Église espère que vous aurez la bonté d'achever ce que vous avez Si bien commencé pour le bien de la paix qui en a toujours depuis trente ans fait toute la bénédiction.

 

Je vous avoue, Monsieur, que comme mes continuelles infirmités jointes à mon âge me donnent sujet de croire qu'il me reste peu de temps à vivre, j'aurais eu une grande consolation de voir avant ma mort l'établissement de Séminaire affermi et dans un état de continuer à rendre à cet pauvre Église naissante de laquelle il a été jusqu'ici un des plus grands appuis, tout le service qu'il a fait jusqu'à présent. C'est ce qu'il y a sujet d'espérer étant sous votre protection, de laquelle je vous demande la continuation et quelque part à vos prière vous assurant qu'il n'y a personne qui soit avec plus de respect que moi, Monsieur.

 

Altera nova positio p. 448

 


Lettre à l'archevêque de Paris de Noailles signée par le bienheureux François de Laval et Mgr de Saint-Vallier, 25 septembre 1698.

 

Monseigneur.

 

Après vous avoir témoigné le véritable respect que nous avons pour votre vertu et la reconnaissance sincère que nous conser­vons de la protection que vous accordez à cette Église naissante, c'est avec confiance que nous vous faisons naître l'occasion de lui en donner une nouvelle preuve dans l'approbation et le sou­tien que nous vous supplions, Monseigneur, de donner à la glo­rieuse entreprise que le Séminaire des Missions étrangères de Québec vient de faire pour l'établissement de plusieurs missions sauvages sur le grand fleuve Mississipi et dans toutes les nations les plus éloignées de cette partie du monde, auxquelles il donne ouverture, dont les peuples sont en Si grand nombre que l'on y peut compter plusieurs millions d'âmes qui sont toutes abandon­nées, aucun missionnaire n'ayant encore tenté de s'y établir.

Cependant l'esprit et la fin principale de l'institut du dit Sémi­naire étant de travailler au salut des infidèles et des peuples les plus abandonnés, il a cru ne pouvoir différer et se dispenser de se servir de l'ouverture que la divine Providence lui a faite pour y envoyer des missionnaires.

 

L'effort qu'il a été obligé de faire cette année au-dessus de ses forces pour l'envoi des premiers dans les lieux les plus éloignés, lui a fait assez paraître qu'il lui est possible de pouvoir continuer ce grand ouvrage si avantageux et nécessaire à cette Église et fournir à toutes les dépen­ses qu'il faut faire pour y en envoyer de nouveaux qui doivent seconder et secourir les premiers dans des missions Si peuplées et de si grande étendue, s'il n'est aidé considérablement, comme nous avons tout sujet d'espérer, de la piété, du zèle et de la gé­nérosité du Roi qu'il voudra bien lui donner les moyens de soutenir une entreprise commencée avec tant de courage.

 

Sa Majesté, qui répand libéralement ses grâces sur les Pères Jésuites qui sont appliqués à la conversion des sauvages auxquels elle ac­corde annuellement la somme de six mille livres sur l'état des charges du pays, et Messieurs de Saint-Sulpice qui reçoivent tous les ans une pareille somme sur le même fonds pour la mission des sauvages qu'ils ont dans l'île de Montréal, se portera sans doute à gratifier le Séminaire des Missions étrangères de  Québec, Si vous avez la bonté, Monseigneur, de lui représenter l'importance des nouvelles missions qu'il vient d'entreprendre et l'union parfaite clans laquelle nous vivons et à laquelle vous avez Si fort contribué.

 

Nous espérons que Dieu versera ses béné­dictions sur le grand ouvrage que nous vous recommandons, et que vous nous ferez la grâce, Monseigneur de le soutenir par le crédit que vous avez auprès du Roi aussi grand et religieux que le nôtre, pour lequel nous continuerons d'offrir nos voeux et nos prières.

 

Nous sommes avec tout le respect possible. Monseigneur,

 

Vos très humbles et très obéissants serviteurs

 

François, ancien évêque de Québec.

Jean, évêque de Québec.

 

Altera nova positio pp. 579-580

 


 



Dernière mise à jour 27 novembre 2013